Alors que toutes les chaînes de télévision du monde accordaient l'ouverture de leurs journaux télévisés aux événements qui se sont précipités en Libye, avec notamment la prise par les insurgés du pré-carré de Tripoli défendu par les partisans d'El Gueddafi, l'Unique continuait à consacrer impassiblement sa Une aux orientations politico-sociales prodiguées par le Président Bouteflika à ses ministres durant les soirées de Ramadhan. Des recommandations reprises intégralement et sous forme d'une litanie singulière, depuis le début du mois sacré, par les présentateurs vedettes qui prennent parfois le tiers du journal sans que personne ne peut, avec certitude, dire si une telle logorrhée suscite ou pas un intérêt particulier auprès des téléspectateurs qui ont l'esprit ailleurs. Qu'il pleuve donc ou qu'il vente, rien ne semble perturber le carnet de route préétabli qui réduit une actualité aussi brûlante que le conflit libyen à un sujet anodin sur lequel il ne faut pas trop insister. Politiquement, notre télévision commet là sûrement l'un de ses plus graves impairs dans la mesure où elle se met elle-même à l'écart des grandes manœuvres médiatiques qui se font autour de l'insurrection libyenne et qui à court ou moyen termes aura des conséquences directes sur les positions algériennes dans la région. En effet, alors que la bataille communicationnelle fait rage entre les grandes chaînes internationales influentes pour orienter ce conflit selon des intérêts bien compris qui n'ont rien à voir avec les aspirations du peuple libyen confronté à une réalité dramatique, une bataille qui ne va pas sans son flot d'intox et de manipulations, notre télé offre l'image d'un media qui paraît loin de la tourmente et qui de surcroît reste complètement désarmé face à des événement de ce genre. Sans capacité de persuasion, sans stratégie de communication, sans aucune dimension professionnelle, l'Unique se fait violence en réduisant ses ambitions médiatiques à néant. On ne va jusqu'à lui demander d'avoir un envoyé spécial sur place pour donner à nos téléspectateurs une info analysée avec une vision algérienne, mais en se mettant dans une posture ultra défensive, et en se refugiant obstinément derrière la frilosité de notre diplomatie, force est de constater que parmi les chaînes arabes ou maghrébines qui ont une pointure identique, c'est sûrement elle qui, en perdant tous ses repères rend le plus mauvais service à son public. Dont celui évidemment de soumettre ce même public aux courants de pensée et aux idées développées par les télévisions satellitaires occidentales et du Moyen-Orient dont El Djazeera comme tête de pont, lesquelles, en plus de leurs convoitises purement commerciales, font le forcing pour imprimer au conflit leurs propres visions politiques. Sur ce plan de la surenchère transformée en guerre médiatique qui cache mal les desseins d'une manipulation sordide sur les cendres d'un drame qui n'a pas encore livré toutes ses horreurs, les médias français qui se sont impliqués à fond dans la fournaise pour accompagner le plan de destruction inspiré par l'OTAN se font les champions de l'intox. La preuve la plus éclatante est celle qui a vu contre toute attente la réapparition sur les écrans de Seif El Islam, le fils d'El Gueddafi, alors que son arrestation par les insurgés avait été officiellement annoncée en grande pompe. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé en personne, et le philosophe Bernard Henri Levy, qui s'est découvert une nouvelle fonction de propagandiste du président Sarkozy, l'homme qui a mis tout son poids pour dépecer la Libye sous prétexte de la libérer de son dictateur, se sont prêtés de manière indécente à cette politique de désinformation qui complique encore très gravement les données du conflit. Où en est-on exactement ? Planifiée elle aussi pour les jours voire les heures à venir, la chute du despote libyen n'a pas encore eu lieu. Mieux, les forces combinées de l'OTAN et des insurgés ne savent même pas où se trouve actuellement El Gueddafi, sa famille et ses fidèles serviteurs. En somme, au moment où les médias internationaux jubilaient sur la fin imminente du régime, on retombe dans la confusion totale à travers la consommation des séquences qui parlent d'une vérité partielle de la guerre, des images qui montrent des rebelles armés jusqu'au cou et qui tirent sur n'importe quoi dans un décor de désolation qui fait frémir. Et, fatalement, ce sont les spéculations politiques des «spécialistes» attitrés d'outre-mer qui occupent l'espace pour faire accréditer les thèses qui ne sont pas forcément les plus justes. Voilà un déficit médiatique que notre télévision aurait pu combler si elle s'était sentie elle aussi concernée, en organisant des plateaux de débats avec des politologues qui auraient à cœur de nous décrypter, et en toute objectivité, les tenants et les aboutissants d'un conflit sur lequel la diplomatie algérienne a du mal à se déterminer.