La prise, dimanche soir, en totalité ou en partie, par les rebelles libyens des villes de Zawiyah, Gariane et Sourmane, au terme d'une vaste offensive menée samedi contre les postions des forces loyalistes, accentue davantage l'isolement de Tripoli, l'un des derniers grands bastions du colonel El Gueddafi. Ras Ejdir (frontière tuniso-libyenne). De notre envoyé spécial La perte notamment de Zawiyah, passage obligé pour gagner la Tunisie à partir de Tripoli, est sans doute le plus gros coup dur encaissé par le régime de Tripoli depuis le début de la révolte, en février. C'est en effet depuis cette ville, située à l'extrême nord-ouest de la Libye, que transitent les approvisionnements en vivres et en carburant qu'acheminent quotidiennement les forces pro-Gueddafi depuis la ville tunisienne de Benguerdane. En s'emparant de cette localité, les «thouar» (les révolutionnaires, c'est comme cela que se définissent les insurgés libyens) ont pour ainsi dire réussi à couper les vivres au colonel El Gueddafi et à le prendre en tenaille. La preuve : d'habitude très fréquenté, le point de contrôle de Ras Ejdir, à la frontière tuniso-libyenne, seule voie qui, jusque-là, assurait l'accès au monde extérieur aux partisans d'El Gueddafi, tourne depuis deux jours au ralenti. Et c'est peu dire. Les rares personnes à avoir pris le risque, hier, de franchir la frontière tunisienne pour entrer sur le territoire libyen étaient pour la plupart des chauffeurs de taxi de nationalité libyenne. En revanche, la circulation en sens inverse était quasi nulle. «Vous êtes tombé sur la tête ou quoi ? Eux (les Libyens) on peut comprendre au moins qu'ils veuillent rentrer chez eux… mais vous ? Je vous déconseille de vous aventurer sur le territoire libyen. Les combats font encore rage à Zawiyah. Vous risquez de vous retrouver coincé entre le feu des rebelles et celui des hommes d'El Gueddafi. D'ici, nous entendons parfois le crépitement de rafales d'armes automatiques», prévient un policier tunisien, étonné de voir un journaliste prêt à risquer sa vie pour tenter tout simplement de voir ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Les rebelles mettent le cap sur Tripoli L'état des lieux dressé par notre interlocuteur sera vite confirmé par un haut responsable libyen en fonction à Tripoli et joint par téléphone. «Nous sommes désolés, mais nous ne pouvons pas recevoir de nouveaux journalistes pour le moment. La route n'est pas sûre. Je vous conseille de repartir à Djerba et de rester en contact avec nous», annonce-t-il d'une voix éteinte, confirmant ainsi l'avancée des «thouar». De l'autre côté de la frontière, des témoins oculaires révèlent que les pro-Gueddafi ont positionné leurs troupes en nombre. Les soldats auraient empêché, dimanche, les civils d'entrer en Tunisie via Ras Ejdir. La manœuvre ne semble toutefois pas inquiéter les rebelles, qui ont réussi à ouvrir un couloir avec la Tunisie au niveau de Tataouine. Les informations en provenance de la capitale libyenne soutiennent que les percées décisives effectuées samedi et dimanche par les insurgés, à l'ouest du pays, ont encouragé les opposants au régime d'El Gueddafi à Tripoli à sortir dans la rue (principalement dans les quartiers dits «Souk El Djemaa» et «Trik Echeet») pour exprimer leur rejet du pouvoir personnel du «guide» et réitérer leur soutien à la «révolution». Un rebelle libyen, Haïtham, rencontré à Djerba, disant appartenir au «front» du Sud et activant non loin de la région berbérophone de Djebel Nefoussa, soutient que «les frères de la révolution ont le moral au beau fixe et sont déterminés à en finir avec le dictateur de Tripoli avant la fin du mois de Ramadhan». «Ce tyran a humilié le peuple libyen. En dépit des richesses que recèle notre pays, il a laissé nos régions dans la misère pour s'enrichir, lui et sa famille. Venez un peu voir les conditions dans lesquelles nous vivons dans le Sud. C'est l'âge de pierre. Il n'est pas question qu'il reste», lance-t-il rageusement, le regard pétillant. Dans le secret d'un hôtel à Djerba… En réaction au sérieux revers accusé par ses troupes et afin sans doute de (re)mobiliser ses partisans, le colonel Mouammar El Gueddafi a appelé, hier, dans un message sonore diffusé aux aurores par la télévision d'Etat, les Libyens à libérer leur pays «des traîtres et de l'OTAN». Il a soutenu que Tripoli est encore forte et qu'elle ne tombera pas. De son côté, Moussa Ibrahim, porte-parole du gouvernement libyen, a minimisé la victoire des rebelles et a affirmé que Zawiyah et Gariane étaient encore sous le contrôle des forces loyalistes. Il a néanmoins reconnu que des batailles avaient eu lieu dans des zones situées non loin de Tripoli. Même si sur le terrain, les combats font rage entre pro et anti-Gueddafi, il semble toutefois que le canal de la négociation entre les deux parties n'est pas encore totalement rompu. La preuve : des sources concordantes à Djerba ont fait état de la tenue d'une réunion à huis clos, au début de la semaine, dans un hôtel de cette station balnéaire très prisée par les Libyens, entre des officiels venus de Tripoli et des représentants des rebelles. Pour l'heure, aucune information n'a filtré ni sur la teneur ni sur les objectifs assignés à ces «contacts». A Tripoli, la consigne semble en tout cas, pour le moment, de démentir tout ce qui se dit concernant l'avenir du «guide» et de donner l'impression que rien n'est encore joué.