A l'opposé de tout le mouvement romantique européen, les lettres américaines du XIXe siècle n'ont pas fait de l'Orient un grand thème de haute expression artistique. Pourtant, l'Amérique en tant que telle a mis du temps pour se soustraire à l'emprise européenne sur le plan de la création littéraire. Il a fallu attendre Walt Whitman, (1819-1892), Herman Melville, (1819-1891), Mark Twain, (1835-1910) et d'autres grands prosateurs pour jeter les bases d'une littérature originale et puissante en même temps. Si l'on excepte Washington Irving (1783-1859) qui a célébré l'Andalousie musulmane dans L'histoire de la conquête de Grenade (1829) et Les contes de l'Alhambra (1831), les lettres américaines de l'époque semblaient afficher un désintérêt total à l'endroit de l'Orient, romantique ou réel, pour ne pas dire qu'elles se plaisaient dans cette absence totale. Une attitude qui reste inexplicable d'autant que l'Amérique était directement impliquée en Méditerranée dans ses expéditions punitives en vue de protéger sa flotte commerciale. En dépit de la doctrine Monroe (1758-1831) sur la politique extérieure des Etats-Unis, ce grand pays n'a commencé à quitter sa coquille et à jeter ses tentacules, cela s'entend sur le plan littéraire, qu'avec l'arrivée d'Ambrose Bierce (1842-1914) qui s'était engagé directement dans la révolution mexicaine au début du XXe siècle. Vinrent, plus tard, John Reed (1887-1920) et ses reportages vivants sur la révolution bolchévique de 1917, Ernest Hemingway (1899-1961) avec ses romans, nouvelles et reportages sur la guerre civile espagnole, Pearl Buck (1892-1973) et ses romans épiques sur le monde chinois, pour arriver jusqu'à Tom Clancey, aujourd'hui, avec ses romans sur les guerres menées par les Américains dans la région du Golfe. C'est dans ce paysage, on ne peut plus singulier, que se situe l'intérêt, passager, il faut le dire, d'Edgar Allan Poe (1809-1849) pour l'Orient en tant que thème littéraire. Ces Orientals investigations, pour reprendre son expression, furent une espèce de petite incursion dans un monde aux antipodes de ses préoccupations littéraires, puisque ces mêmes investigations ne devaient engendrer que deux poèmes sans grande importance par rapport à ses écrits narratifs et à sa poésie ultérieure Al araaf (1829), et Israfel (1831). Une maladresse de débutant de la part de Poe, c'est le moins que l'on puisse dire ! Il fit de l'Orient, en général, et de la culture islamique, en particulier, un champ d'expérimentation littéraire ponctué, indirectement peut-être, de quelques contrevérités. Apparemment, l'intention était bonne et sincère. Toutefois, la manière de Poe d'appréhender certains passages du message coranique frise le ridicule. C'est tout un nouveau verset qui naît sous sa plume de jeune poète habité par le désir d'apporter quelque chose de fulgurant en matière de création littéraire. On ne sait, à titre d'exemple, où il est allé chercher cet instrument de musique si cher aux gens du Moyen-Orient : le luth, pour l'attribuer au Saint Coran alors qu'il n'y figure pas. On s'interroge encore sur l'ange Israfel qui, selon son interprétation personnelle, possède une voix à ensorceler les cieux et les terres, et a, de ce fait, une place de choix dans le Livre Saint. Edgar Allan Poe se référait, sûrement, à certains écrits gothiques et bien sûr aux écrits bibliques pour les plaquer sur le Saint Coran. Sa seule excuse, c'est le fait qu'il fut alors à ses débuts, c'est-à-dire, un apprenti poète et prosateur. Or, la poésie, on le sait bien, est une espèce d'explosion ! A-t-il voulu suivre la mode littéraire de l'époque sans grande conviction ? En Angleterre, pour ne citer que les plus grands, Coleridge (1772-1834) avait déjà fait de l'Extrême Orient sa source d'inspiration dans son fameux poème Kublaï Khan. En Russie tsariste, Alexandre Pouchkine (1799-1837) s'était penché, avec bonheur, sur les questions de l'Islam dans son long poème le Prophète. Thomas Carlyle (1795-1881) avait, quant à lui, traité du même sujet dans son livre monumental The Heroes, où il a glorifié le Messager d'Allah. Le monde des mots ne suffit pas, à lui seul, pour recréer l'ambiance de l'Orient mythique et religieux, tel qu'on le rencontre dans les œuvres du grand orientaliste sir Richard Francis Burton (1821-1890), traducteur des Mille et Une nuits en langue anglaise. Poe, ne dit-il pas quelque part « notre monde est celui des mots » ? En cela, il commet la même erreur que la plupart des peintres européens depuis les débuts de la Renaissance jusqu'à la fin du XIXe siècle. Aux yeux de ces derniers, ce qui importait, c'était l'idée religieuse proprement dite, plutôt que le décor. A proprement considérer leurs réalisations picturales, un anachronisme dans le décor et les costumes s'impose rapidement à nos regards. Les personnages, Christ, apôtres et autres, sont drapés, la plupart du temps, dans des accoutrements de l'époque de la Renaissance, qui n'ont rien à voir avec ceux de l'époque du Christ, c'est-à-dire, 15 siècles en arrière. En outre, celui-ci est souvent malmené dans son corps, dans son visage, dénudé sans raison, sanguinolent, etc. L'idée à mettre en relief est, peut-être, judicieuse, mais, le décor et l'entourage direct laissent à désirer, pour ne pas dire, qu'il s'agit d'un patchwork culturel qui n'a pas sa raison d'être. En somme, Edgar Allan Poe n'était pas dans sa grande forme poétique lorsqu'il a fait sa petite incursion dans le monde de la culture islamique. Il n'était pas encore arrivé à ce stade si dépouillé, si délicat que l'on retrouve dans ses poèmes ultérieurs, tels que The Raven, Anabel Lee et autres. Et dire qu'à cette période il avait atteint le stade du delirium tremens qui devait l'emporter en 1849 !