Colère et déception chez Nacer Kettane qui a cédé près de 80% des parts de la chaîne de télévision Beur TV à un investisseur annabi. La nouvelle grille ainsi que la façon de faire ne semblent pas plaire au fondateur de cette chaîne qui a vu le jour en 2003. Paris. De notre correspondant
Il y a un an environ, la chaîne de télévision communautaire Beur TV menaçait de mettre la clé sous le paillasson. Les raisons étaient multiples : absence de publicité, inexistence de programmes sérieux susceptibles d'attirer les téléspectateurs ainsi que les annonceurs et enfin difficultés financières pour payer la location des satellites, moyen incontournable pour la diffusion des programmes. Il fallait attendre l'arrivée de deux hommes d'affaires oranais pour que la menace de fermeture, qui pesait sur ce média lancé par Nacer Kettane, qui possède d'ailleurs la radio Beur FM, s'éloigne. Intéressés de reprendre la majorité des parts, ils ont alors épongé une partie de la dette, lui permettant du coup de continuer à assurer la diffusion en France et au Maghreb. Plus que cela, la chaîne devait aussi déménager dans de nouveaux locaux et recruter plus de personnel. Or, le projet n'est pas allé à son terme. Alors qu'au moment où les deux hommes d'affaires commençaient à réfléchir à une nouvelle grille, aux moyens et objectifs pour le long terme, tout tombe soudainement à l'eau, laissant le champ libre à un autre investisseur de racheter la majorité des actions. «ENTV bis» Selon un proche du dossier, il s'agirait d'un certain Rédha Meguini. Originaire de Annaba, il possède une plateforme d'appels. Il aurait fait fortune dans le marché du doublage des films et autres documentaires pour le compte de l'ENTV, lorsque celle-ci était dirigée par Hamraoui Habib Chawki. Devenu désormais majoritaire avec 80% des parts contre20% pour son associé Kettane ainsi que certains membres de sa famille, il a fixé comme objectif de la relancer et de lui donner une visibilité réelle en France et ailleurs. Le mois de Ramadhan a été la meilleure occasion pour mettre en place la stratégie de relance. Un programme concentré entre 19 et 23h a été concocté. Il comprend, entre autres, un film égyptien, un autre religieux (la vie de Jésus et les chevaliers du Coran), des émissions de divertissement, ainsi qu'un feuilleton franco-arabe Bin ou bin… Si les programmateurs ont eu comme préoccupation première et légitime de diversifier le contenu de la chaîne à une heure de grande écoute, force est de constater que la plupart de ces contenus sont loin de constituer une nouveauté. Plutôt du «réchauffé» à l'image du feuilleton Bin ou bin qui a été diffusé moult fois par la même chaîne dans le passé. Selon un journaliste, qui a longtemps collaboré avec la chaîne, la nouvelle version de Beur TV a changé en termes de qualité, en ce sens qu'elle s'est transformée en ENTV bis. Point de musique, de débats contradictoires, de forums ou de news. «Ils veulent faire une télévision de droit français à partir d'Alger. Cela ne va assurément pas marcher. Il faut produire ici (en France, ndlr), être proche des préoccupations des gens, à qui cette chaîne est destinée. Il faut aussi recruter un minimum de personnel technique et journalistique pour la faire marcher. En dehors de cela, elle ira droit dans le mur.» Les annonceurs ne semblent pas se bousculer au portillon En effet, en dehors d'un local situé dans le quartier du colonel Fabien dans le 19e arrondissement de Paris, d'une caméra et de quelques accessoires techniques de fortune, il n'y a rien d'autre qui puisse indiquer, pour le moment, que Beur TV est en train de prendre un nouvel envol. Même la diffusion des programmes est assurée par une centrale de diffusion dénommée Cognacq-Jay. Il n'y a pas assez de techniciens pour que la chaîne diffuse elle-même ses propres programmes. Acheter des parts dans une chaîne de télévision est une chose, la faire marcher et fructifier, en est une autre, selon Nacer Kettane, fondateur de Beur TV en 2003. Joint par téléphone, ce dernier dit ne pas reconnaître la nouvelle version de Beur TV. «Ce n'est pas Beur TV que je connais. C'est plutôt Nesma TV bis. Pas de programmes francophones ni berbérophones. Quant à la dimension algérienne, qui est presque la raison d'être de la chaîne, elle est tout simplement inexistante.» Et d'ajouter : «Beur TV existe depuis 2003. Et cela fait 8 ans que nous essayons de casser les tabous au niveau de la politique algérienne. On a ouvert des portes qui étaient fermées à double tour et on s'est battus pour ouvrir le champ télévisuel dans ce pays.» Nacer Kettane regrette le ton de la nouvelle version de Beur TV, pauvre, selon lui, de débats politiques et de forums économiques, comme c'était le cas avant, d'après lui. Tout en justifiant ce début sur les chapeaux de roue par la nécessité de présenter un programme pour le mois de Ramadhan, M. Kettane avertit néanmoins qu'il ne laisserait pas la situation empirer. «Soit les programmes changent et s'améliorent, soit je me retire complètement.» Il a également dénoncé l'interview accordée par Réda Meguini, l'actionnaire majoritaire de la chaîne, au journal L'Expression. Il promet d'accorder à son tour un entretien pour donner son avis sur la chaîne. En attendant, hormis quelques spots publicitaires (Isis, Combat et Couscous dari), les annonceurs ne semblent pas se bousculer au portillon. Ni les téléspectateurs d'ailleurs…