Phénomène social par excellence, le charlatanisme sous couvert de l'islam est en vogue. Dans la wilaya de Jijel, même certains cabinets médicaux s'y mettent. Les jeunes filles, proies faciles des guérisseurs de tout bord, sont la cible de prédilection de ce nouveau mode de traitement. La pratique semble prendre une telle ampleur que certaines personnes ne jurent plus que par les prétendues vertus de ces charlatans pour venir à bout de leur mal. La «rokia», pratiquée à domicile, sur rendez-vous ou dans des locaux aménagés pour recevoir «les malades», a investi les esprits. Elle consiste, selon l'usage, à réciter certains versets du saint coran à une personne pour la débarrasser de son djinn, dénouer un ensorcellement ou faciliter le mariage à une célibataire endurcie. Ce procédé est également utilisé pour chasser le mauvais œil ou pour fructifier un commerce. Des islamistes, dont certains ont débarqué du maquis, se sont spécialisés dans l'accomplissement de ce rituel non sans profiter de la crédulité de leurs «clients». A Jijel ville, comme ailleurs, les noms des «raki», aux pouvoirs prétendument indéniables, circulent dans les milieux initiés. Des sévices corporels sont mêmes infligés aux personnes «atteintes» de djinn. Des potions magiques à base d'huile d'olive ou de miel sont prescrites, et le tour est joué pour faire croire que le mal est chassé. Certains guérisseurs gavent leur malades d'eau pour les faire vomir et les débarrasser du «S'har». «Cela expose à un grave risque qui peut être fatal pour la santé. D'ailleurs nous avons reçu une fois à l'hôpital une femme en hyponatrémie (diminution du taux de sodium dans le sang) que nous avons orientée au service de réanimation de Jijel; elle avait bu beaucoup d'eau chez un guérisseur», avertit un médecin qui met en garde également contre le fait de faire boire abondamment de l'eau salée, une pratique courante lors des séances d'exorcisme, ce qui expose, selon ce praticien, au risque d'hypertension artérielle. A ces risques, s'ajoutent des comportements douteux ayant mis en cause certains guérisseurs. «Est il normal qu'un raki s'isole avec une jeune fille dans une chambre pour lui réciter le coran ? L'Islam est loin de ces pratiques et puis ne requiert-on pas la présence d'un accompagnateur légitime (mahram) de la femme en présence d'un homme étranger ?», s'interroge un citoyen. Contacté pour nous donner son point de vue sur ce phénomène, le directeur des affaires religieuses exprime son refus de voir de tels us investir la société. «La loi interdit la rokia dans les lieux de culte, mais en tant qu'administration, nous n'avons pas la compétence d'intervenir pour empêcher ces pratiques dans des lieux privés», a-t-il soutenu. En attendant que des mesures soient prises pour stopper ce fléau, la vente de l'eau «bénie», sur laquelle on a lu le Coran, est devenue un commerce prospère, la rokia est un exercice lucratif et certains médecins se sont mis de la partie pour ouvrir leurs cabinets à la pratique de la «hadjima», une méthode qui consiste à faire saigner le malade pour lui extraire…le sang impur! Les motivations d'ordre pécuniaire ne sont pas étrangères à la chose, qui relève, certes, du domaine médical, mais qui, depuis un certain temps, est très répandue dans le milieu des guérisseurs. Un psychologue, sollicité pour donner son avis sur la question, a trouvé aberrant que même des médecins envoient des malades chez les pratiquants de la Rokia.