Il n'y a pas si longtemps, Ouyahia avait sur le plateau de l'Unique carrément rejeté l'idée de création de chaînes de télévision et radios privées à partir du moment, avait-il soutenu, où l'expression était… libre et plurielle (…) dans nos médias lourds. Pourquoi ouvrir le champ audiovisuel quand cette inclination, qui fait tellement débat parce que fortement revendiquée, est déjà, selon lui, une réalité tangible à la Télévision nationale ? L'invité de l'émission «Hiwar essaâ» est allé jusqu'à illustrer ses propos par le fait que l'opposition y avait toute la latitude de venir formuler ses critiques sans problème, ce qui l'amène donc à n'y voir aucunement la nécessité d'encombrer le petit écran national par une concurrence parasitaire qui n'apporterait pas grand-chose au paysage médiatique télévisuel. Venant de la part d'un chef du gouvernement qui sait saisir les opportunités pour consolider les discours politiques qui passent mal dans l'opinion publique, la manière avec laquelle avait été réaffirmée cette position doctrinaire – en l'occurrence le maintien par le Pouvoir du statu quo sur l'audiovisuel – avait résonné pour les spécialistes comme une fin de non-recevoir aux multiples pressions exercées sur l'Exécutif par la société civile, les partis et les associations non assujetties aux sphères du Pouvoir et appelant sans cesse à la démocratisation des médias lourds dans notre pays. Et ce au moment où des frémissements apparaissaient ça et là pour laisser croire que des changements inévitables allaient s'opérer dans le secteur de la communication où les retards et les ratés ne se comptent plus par rapport à la vision du monde actuel. L'Algérie étant encore l'un des rares pays au monde à demeurer avec une chaîne unique de télévision totalement contrôlée par l'Etat, il va sans dire que la réponse donnée par Ouyahia, sur la base d'un argumentaire grotesque et mensonger, pour décourager l'initiative privée, ne s'appuyait sur aucune thèse crédible sinon celle de retarder à l'infini l'échéance pour maintenir la prédominance totale du pouvoir présidentiel sur les organes d'information et de communication. Or, voilà qu'au sortir de la séance d'ouverture de la session d'automne du Parlement, le même chef de l'Exécutif, affichant hier une attitude très sereine sur la question, est venu cette fois annoncer aux journalistes, presque à la dérobade, que l'ouverture de l'audiovisuel sera consacrée par la nouvelle législation. En l'espace de quelques mois, le ton a changé du tout au tout. Sans donner plus de détails sur un sujet que redoutait par-dessus tout l'instance gouvernementale, Ouyahia, qui, pour l'anecdote, supplantait son ministre de la Communication, précisait seulement, en parlant du projet de révision du code de l'information, que la mouture en chantier qu'il défend personnellement «ne renferme aucune disposition de privation des libertés», soit tout à fait le contraire de celle soutenue par Nacer Mehal qui passe pour la circonstance pour un responsable dépouillé de toute responsabilité. Pourquoi un tel revirement, alors que rien n'indiquait dans la démarche et dans les préoccupations de nos dirigeants qu'une telle «concession», faite au camp démocratique, allait être promulguée pour s'affranchir des critiques acerbes qui s'abattaient sur eux. Le Pouvoir a-t-il lâché du lest en pensant d'abord à son image classée parmi les plus conservatrices, voire les plus rétrogrades dans le monde arabe, ou a-t-il réellement compris enfin qu'avec un organe de communication aussi obsolète que l'Unique, il allait droit dans le mur sachant que l'information a toujours un effet boumerang redoutable quand elle est étouffée par la censure et le mensonge. Cela dit, si les démocrates en Algérie, qui ont toujours exigé l'ouverture du champ audiovisuel, non pas comme une revendication de nuisance pour combattre le Pouvoir mais bien comme une source de développement à tous les niveaux, considèrent l'option du gouvernement comme une avancée dans le processus de démocratisation engagé dans notre pays qui touche un secteur-clé dans la vie des Algériens, ils n'accordent pas pour autant toute la confiance à un Pouvoir qui, passé maître dans l'art du louvoiement, ne fait jamais rien pour rien. Si donc l'intention est louable, c'est la concrétisation du projet qui reste sujet à tous les pessimismes dans la mesure où les obstacles pour diversifier l'activité télévisuelle et radiophonique avec la participation du privé sont nombreux et souvent pas apparents. Ainsi, les postulants risquent de buter sur trois gros problèmes : l'affectation des fréquences pour les émissions qui restent la propriété exclusive de l'Etat, le cahier des charges et le rapport avec le prochain conseil supérieur de l'audiovisuel. Sur quelles bases seront délivrées les fréquences, personne ne le sait actuellement. On imagine en revanche que le Pouvoir mettra tout son savoir-faire pour verrouiller au maximum l'accès et n'autoriser que ceux qui pourront lui servir d'alibi. L'Etat a encore deux autres paliers pour se prémunir contre une ouverture considérée comme un danger à la survie du régime. Il jouera sur le cahier des charges en instituant les conditions les plus draconiennes, quoique celles qui seront fixées pour éliminer les visées intégristes et anti-républicaines ne sont jamais de trop, et marquera encore fortement sa présence dans le CSA par une composante qui lui sera acquise et donc qui n'ira pas à l'encontre de ses décisions. Ouvrir juste pour ouvrir l'audiovisuel par… le trou de serrure, est-ce vraiment un leurre ? On ne vous le fait pas dire…