Depuis quelque temps, un très grand débat est lancé sur l'ouverture audiovisuelle en Algérie. Les récentes déclarations du ministre de la Communication, El-Hachemi Djiar, qui avait indiqué que le champ audiovisuel ne sera pas ouvert aux privés, ont provoqué un tollé dans les cercles de réflexion sur l'avenir de la télévision en Algérie et, surtout, sur les perspectives d'avenir de certains hommes d'affaires qui espéraient faire de l'image “une arme de destruction massive… politique”. Les observateurs peu avertis du domaine audiovisuel ont alors déclaré que l'Algérie était en retard par rapport à ses voisins maghrébins. Une allégation très vite démentie par le ministre de la Communication, El-Hachemi Djiar, qui avait demandé de ne surtout pas comparer l'Algérie à la Tunisie et au Maroc. Mais y a-t-il réellement une ouverture audiovisuelle en Tunisie et au Maroc ? Contrairement à d'autres pays arabes, comme le Liban, le Qatar ou, à un degré moindre, l'Egypte, qui concurrencent les télés européennes et américaines, le Maghreb n'a pas encore connu sa révolution audiovisuelle. Surveillé par son parrain culturel, la France, et rejeté par son père linguistique, le Moyen-Orient, le Maghreb se cherche dans ce monde audiovisuel en continuelle ébullition. C'est pourtant le Maroc qui fera le premier pas dans cette ouverture timide de l'audiovisuel. Ainsi, après avoir opéré une petite ouverture du temps de Hassan II avec le lancement de la chaîne 2 M (composée de capitaux public et privés), le royaume alaouite a voté, en 2002, une loi autorisant la création de télés et de radios privées. Maroc : une ouverture audiovisuelle seulement aux étrangers En janvier dernier, le Maroc a lancé sa quatrième chaîne nationale. Elle diffuse par satellite de 17h à 23h et est dotée d'un budget annuel de 120 millions de dirhams (dont 75 millions ont déjà été octroyés par le fonds d'aide au paysage audiovisuel). Educative et culturelle, Arabia, est la quatrième chaîne marocaine publique, après la RTM créée au début des années 1960, la 2 M fondée en 1989 et reprise par l'Etat en 1996, et la toute récente, Al Maghrebiya, lancée, quant à elle, le 18 novembre 2004. Pour le moment, le Maroc est le seul pays dans le Maghreb à s'être doté d'une loi autorisant l'ouverture audiovisuelle et d'une autorité de régulation audiovisuelle : le HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle, l'équivalent du CSA français) créé le 31 août 2002, alors que son instance délibérante, le CSCA (Conseil supérieur de la communication audiovisuelle), a été mis en place le 9 février 2004. Cet engouement pour l'audiovisuel résulte du fait que les Marocains sont de grands consommateurs de télé. Avec 50% à 60% de parts cumulées sur le marché de la télévision, TVM et 2 M restent de loin les chaînes les plus regardées par les Marocains. Au Maroc, plus d'une personne sur deux est scotchée, chaque jour, devant sa télévision, à regarder préférentiellement les deux chaînes nationales. Quand, en 1989, Hassan II a pris la décision de créer 2 M, il le fait dans le même esprit que pour la création, quelques années auparavant, de la radio Médi 1. Mais à côté des 133 millions de dirhams de subvention que la chaîne reçoit de l'Etat, elle réalise un chiffre d'affaires publicitaire de plus de 285 millions de dirhams pour un budget global de 420 millions de dirhams. À titre de comparaison, le budget de 2 M représente à peine 1% du budget de France 2. Médi 1, une chaîne à vocation trouble Mais le projet audiovisuel le plus attendu par les Marocains reste MD1 Sat, initiée par la radio Médi 1. Avec 23 millions d'auditeurs, la radio franco-marocaine Médi 1 est aujourd'hui la radio leader du Maghreb. À l'époque, elle a été créée pour justement concurrencer la Chaîne III de la radio algérienne qui, par la qualité de ses émissions et de ses animateurs, a su s'imposer dans la région du Maghreb et surtout donnait une contre-balance dans la question du Sahara occidental. Mais grâce à l'apport du savoir-faire des Français, Médi 1 a pu s'imposer sur le terrain. Après un parcours du combattant, elle a également donné naissance à une nouvelle chaîne de télévision à capitaux franco-maroco-libanais. Présenté à l'origine comme une chaîne tout-info, le projet Medi1 Sat a progressivement changé de nature pour se muer en chaîne généraliste... avec tout de même une prééminence de l'information. Selon le cahier des charges de Medi 1 Sat, le conseil d'administration est présidé par Pierre Casalta. Ce conseil d'administration comprend également Maroc Télécom, Fipar Holding (filiale de la CDG), la CIRT (Compagnie internationale de radio et de télévision) et Radio Méditerranée Internationale à laquelle les capitaux marocains participent de l'ordre de 51 %. Un document de l'AFD (Agence française de développement) détaille mieux cet actionnariat. Médi 1 Sat, créée en novembre 2002. Ainsi, 56% reviennent, à parts égales, à Maroc Télécom et à la CDG (Fipar Holding). La CIRT en a pour 30%. Cette dernière a vu l'entrée en son capital de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) et avait bénéficié d'une subvention du Quai d'Orsay. Radio Méditerranée Internationale y est finalement présente avec 14%. L'actionnariat de RMI est marocain à 51%. Paul Hatti, le nouvel homme fort de Médi 1 Sat, aurait été rémunéré grâce à un contrat de deux ans pour une bagatelle qui dépasse les 400 000 euros... Ce Franco-Libanais fait la pluie et le beaux temps sur Medi Sat 1. C'est notamment lui qui choisit les journalistes et qui a imposé aux Marocains l'Algérienne Leïla Bouzidi, ancienne journaliste de l'ENTV, de Khalifa News et dernièrement la chaîne économique arabe CNBC. Elle est devenue la présentatrice vedette du JT en arabe sur Medi Sat, au grand désespoir du Marocain Anas Bouslamti, l'un des journalistes-piliers d'Abu Dhabi TV. Si le projet de Medi Sat 1 a tardé, c'est essentiellement à cause de Pierre Casalta. Ce dernier voulait associer l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri. Avant son assassinat, le Premier ministre libanais était un ardent défenseur de la francophonie au Moyen-Orient. Hariri dirigeait la chaîne Futur TV, qui a été reprise par sa fille, et la station française Radio Orient. Avec une présence libanaise dans le tour de table, Medi 1 Sat s'assurerait une passerelle vers le champ audiovisuel moyen-oriental. C'est finalement un autre Libanais qui prendra sa place, Paul Hitti, un Franco-Libanais. Ce qui cadre parfaitement avec les objectifs stratégiques des promoteurs de la “francophonie audiovisuelle”. Mais l'inconvenant de cette chaîne est de taille, cette télévision n'est pas totalement marocaine. Le 27 septembre 2005, une convention de financement pour un montant total de 3 millions d'euros (près de 33 millions de dirhams) sur dix ans a été signée pour boucler le plan de financement du projet de la nouvelle télé. Ladite cérémonie s'était déroulée en présence de Driss Jettou et Dominique de Villepin en marge de la 7e rencontre franco-marocaine des chefs de gouvernement des deux pays. Partenariat franco-marocain qui engendra, dès le lancement de la chaîne, des conflits et des tensions. Et pour le moment rien ne va plus à Medi Sat. En effet, le cahier des charges, signé le 19 mai 2006, stipulait que la moitié, au moins, du personnel de Medi 1 Sat doit être de nationalité marocaine. Cette condition ne sera jamais respectée au grand désespoir des travailleurs marocains et devant le silence complice du Palais. Avec des chaînes publiques qui ronronnent et une ouverture audiovisuelle privée de façade, le Maroc a voulu surtout être le premier avant les Algériens à ouvrir le champ audiovisuel. Une concurrence maladive de Rabat qui va jusqu'à accélérer la création d'une chaîne en langue tamazight en 2006, et cela après avoir entendu HHC annoncé en 2004, la création de la première télévision amazighe en Algérie. Un ex-para français converti à la télé Mais le gouvernement marocain n'a pas les moyens financiers que l'Algérie possède, surtout aujourd'hui. Le Maroc était donc obligé de s'associer avec des partenaires étrangers allant jusqu'à faire des concessions “territoriales” dans son champ audiovisuel. Le premier à en profiter c'est le patron de MEDI 1, Pierre Casalta. Ce Français est qualifié de personnage trouble par le magazine marocain Tel-Quel. “Soldat parachutiste, agent des services de renseignements français, protégé du Palais… Beaucoup de rumeurs plus ou moins fantaisistes ont circulé au sujet de l'énigmatique patron de Médi 1 et de Médi 1 Sat”, s'interroge Tel-Quel, qui n'arrive toujours pas à cerner le personnage. Pire encore, les Marocains ont autorisé au nom de l'ouverture audiovisuelle l'installation d'une radio américaine sur son sol : Radio Sawa. Lancée début septembre à Rabat et à Casablanca la capitale économique du royaume, Radio Sawa a été créée en 2001 par le gouvernement fédéral américain pour “délivrer directement en langue arabe aux populations du Moyen-Orient les intérêts à long terme des Etats-Unis”. Radio Sawa, dont les studios sont à Washington, remplace le service en langue arabe de la Voice of America (VOA). Les programmes de Radio Sawa, qui émet déjà en Irak, aux Emirats arabes unis, au Koweït, en Jordanie, au Liban, à Djibouti et en Israël, alternent bulletins d'informations avec de la musique arabe et anglo-saxonne. Supervisée par l'agence fédérale du “Broadcasting Board of Governors” (BBG), Radio Sawa entend “gagner l'attention et le respect de ses auditeurs” arabes par la “rigueur et l'objectivité” de ses informations, précise le site Internet de la radio (radiosawa.com). La rapidité avec laquelle le ministère de la Communication a accordé l'autorisation d'émettre “à titre dérogatoire et exceptionnel, se justifie principalement par des considérations diplomatiques”, a commenté le site marocain Bladi Net. Obtenue fin juillet par Margaret Tutwiler, l'ex-ambassadrice des Etats-Unis à Rabat, cette autorisation a été accordée alors que Washington vient de réaffirmer sa volonté “à n'imposer au Maroc aucune solution” sur le conflit territorial du Sahara-Occidental. L'arrivée de Radio Sawa au Maroc intervient également alors que les Etats-Unis, alliés stratégiques du Maroc dans le Maghreb, notamment en matière de lutte antiterroriste, négocient un accord de libre-échange commercial avec Rabat. À côté du Maroc, la Tunisie offre une image d'un pays ouvert en matière de liberté audiovisuelle, alors que la réalité est tout autre. Le samedi 12 février 2005, la Tunisie était fière d'annoncer le lancement de sa première chaîne de télévision privée, Hannibal TV. Née d'un projet de l'homme d'affaires tunisien Larbi Nasra, la nouvelle chaîne numérique du nom du général carthaginois Hannibal (247-183 avant Jésus-Christ), émet H 24 sur les satellites Arabsat et Nilesat et couvrent le Moyen-Orient et le Maghreb. Larbi Nasra, est une figure connue dans le monde de l'audiovisuel, notamment égyptien. Mais ce que les Tunisiens n'ont jamais révélé et que ce dernier aurait obtenu son autorisation par le biais de ses relations avec la famille Trabelssi, beaux-parents du président tunisien Ben Ali. Après une année de diffusion, Hannibal TV n'a pas réussi à s'imposer dans le paysage audiovisuel tunisien, dominé toujours par les deux chaînes étatiques, Canal 7 (1960) et Canal 21 (1994). Aucune production n'est fabriquée dans les locaux de la télévision et surtout pas un journal télévisé. La grille officielle des programmes est composée essentiellement de feuilletons égyptiens, de séries américaines et de télé-novelas brésiliennes, le tout acheté dans des packages au marché de la télévision MIP TV de Cannes. Le téléspectateur tunisien reste curieux de voir cette expérience réussir comme celle de Mosaïque FM, première radio privée tunisienne. À la fin de février sera lancé Nesma TV, des frères Karoui. Cette télévision n'est pas tunisienne, elle est de droit français. Malgré leurs “bonnes intentions”, les rois de la publicité au Maghreb n'ont pas les faveurs du régime de Ben Ali pour construire leur projet dans le pays d'Ibn Khaldoun. Ils sont même surveillés de près en raison de leurs relations très proches avec Baâziz, l'artiste algérien fervent opposant à Bouteflika, qui est leur conseiller artistique personnel. Les frères Karoui misent sur Star Academy C'est surtout grâce à l'argent des Algériens, récolté à travers les appels et les SMS pour participer à l'émission Akher Kalima, que les frères Karoui construiront leur fortune et créeront leur propre télévision. À cela s'ajoutent les contrats avec l'opérateur koweïtien Wataniya qui, avec Nedjma en Algérie et Tunisana en Tunisie, leur permettent de réaliser leur meilleur chiffre d'affaires. Fort de ces millions de dollars, Nabil Karoui, le gestionnaire et le maître à penser du groupe Karoui, tentera le tout pour le tout pour s'imposer dans la région maghrébine, un marché de 70 millions de consommateurs. Après avoir remporté le marché de Star Academy aux Libanais de LBC (ils sont en justice actuellement), Karoui convainc Endemol d'investir au Maghreb et de créer une version de cette émission pour la région. Mais, ne trouvant pas de diffuseurs (LBC s'y oppose, l'ENTV avait interdit de diffuser la Star Ac, les télés tunisiennes ne sont pas preneuses), les Karoui n'avaient d'autres solutions que d'investir tout ce qu'ils ont gagné pour créer leur propre télé. Pour ce faire, il fallait organiser une vaste promotion publicitaire pour vanter les mérites de Nasma TV dans les pays visés : Tunisie, Algérie et Maroc. Cette stratégie a poussé quelques observateurs à Alger à se poser cette question : pourquoi les Karoui viennent dépenser de l'argent pour une opération de marketing dans un grand hôtel à Alger pour parler de Nasma TV, une télévision qui n'est ni produite ni diffusée en Algérie ? La réponse est simple. Après le refus de l'ENTV d'acheter l'émission, et celui de Wataniya de la sponsoriser, la survie de Nesma TV dépendra des appels et des SMS de vote des 19 millions d'abonnés algériens dans le mobile, et des 3 millions dans le fixe. Une entreprise à risque, puisque les frères Karoui viennent tout juste de perdre un gros marché publicitaire en Algérie. En plus de Nesma TV, les Tunisiens verront, le 20 mars prochain, la venue d'une nouvelle chaîne privée, Tunisie Télévision (TT1), dirigée par un certain Tarek Bechraoui. Ce dernier est très connu dans le milieu de la presse tunisienne. Il était responsable d'un journal semestriel, la Vérité, proche du palais de Carthage. Contrairement à Hannibal Tv ou à Nesma TV qui ont une vocation de divertissement, RT1 servira de tribune médiatique pour répondre aux attaques politiques du chef du mouvement islamiste tunisien Nahdha, Rachid Ghenouchi, à travers El Mustakila, une chaîne d'opposition tunisienne installée à Londres. Alors, à côté d'une télévision privée dirigée par la famille Trabelsi, d'une autre dirigée par le palais de Carthage, d'une télévision privée dont l'objectif reste le profit financier, l'ouverture réelle de l'audiovisuel en Tunisie n'est pas pour demain, et encore moins pour après-demain. D'autres projets sont attendus et prévoient une télé dirigée par l'homme d'affaires et producteur cinématographique franco-tunisien, Tarak Ben Ammar, en partenariat avec TF1. Surtout une chaîne sportive qui serait dirigée par l'ancien footballeur international tunisien, Tarak Dhiab. Devant cet état de fait, peut-on conclure qu'il existe réellement une ouverture audiovisuelle au Maroc et en Tunisie ? Ce qui est sûr, c'est que l'ouverture du champ audiovisuel n'est pas vue de cette manière en Algérie. Le gouvernement algérien, qui ne badine pas avec l'identité et la souveraineté nationale, s'est toujours opposé à un partenariat minoritaire dans des secteurs sensibles. Contrairement au Maroc, Alger s'opposerait toujours à une gérance d'une nation étrangère dans son secteur audiovisuel. Encore moins donner des privilèges pour la création d'une télé à des personnalités riches ou proches du pouvoir, comme en Tunisie. Dans ce sens, l'exemple de Khalifa TV était une expérience ratée, qui a donné à réfléchir au pouvoir. L'ouverture audiovisuelle, selon les Algériens, est une affaire très sérieuse qui est étudiée avec minutie. A. R. (À suivre )