A défaut de pouvoir élargir l'éventail de la représentation politique nationale qui risque de ne pas correspondre au profil-type de l'émission, on prend donc les mêmes et on recommence. C'est en tout cas ce qui semble être la devise de «hiwar essaâ», le rendez-vous politique de A3 diffusé tous les mercredis en prime time qui, à force de tourner avec des invités qui ont déjà tout dit, ne suscite visiblement plus un intérêt grandissant auprès des téléspectateurs. Le fait de voir, en effet, la même clientèle ressasser le même discours finit pas lasser et donc rendre un tel programme infructueux au moment où le pouvoir compte sur le précieux concours du petit écran pour faire passer la pilule des réformes engagées par le président Bouteflika. Au demeurant, en respectant un «listing» préétabli, qui concerne malheureusement aussi les représentants de la presse, la Télévision nationale ne peut être suspectée d'aucun écart puisque, même si elle fait dans la redondance, son émission ne donne pas, aux yeux de ses concepteurs, l'impression de souffrir d'un quelconque vide, l'impact recherché auprès du public étant au départ davantage une propension propagandiste qu'une réelle invitation à la réflexion collective pour cerner les vrais enjeux du moment. On peut sans se tromper dire que l'Unique, en synchronisant à sa manière le panel des personnalités politiques qui viennent au nom de leur parti ou pas, offre une fidèle photographie du personnel politique dominant actuellement la scène et qui ne veut surtout pas la quitter. A part quelques responsables de petits partis appelés à la rescousse pour faire la jointure et servir d'alibi au principe de la consultation ouverte à tous les courants de pensée, la partie est toujours facile de rassembler dans un mouchoir de poche les mêmes interlocuteurs et les médiatiser autant que faire se peut pour montrer qu'en dehors de ces «ténors» la vie politique en Algérie n'aura aucun sens, voire aucun salut. Ainsi, au lieu d'étendre le débat à une autre élite politique qui existe dans notre pays, et pas seulement dans les rangs de l'opposition qui refuse de cautionner le jeu de la Télévision nationale à se servir d'expédients pour mieux étouffer l'expression démocratique, ce sont encore et toujours les Belkhadem, Ouyahia, Louisa Hanoune, Bouguerra Soltani, pour ne citer que ceux-là, qui sont conviés à donner et redonner leurs avis sur les problèmes politiques jusqu'à épuiser leur répertoire démagogique, cela sous l'œil d'une animatrice, joviale et avenante, toujours enchantée de les recevoir sur son plateau, qui a cependant le défaut, souvent inopportunément, de couper court les rares questions pertinentes posées par le trio de journalistes en mal d'agressivité professionnelle, et qui donc pour éviter de s'aventurer dans des réflexions politiques qui risquent de la dépasser, a l'art de recourir à la langue de bois pour faire intervenir ses invités dans la direction où ils peuvent le mieux s'étaler. Lancée dans la foulée d'une série d'émeutes populaires sur fond de revendications politiques, réclamant un statut plus démocratique pour la société algérienne, des changements qui passent nécessairement par la fin du système de gouvernance actuel, Hiwar Essaâ, au lieu de répondre à l'appel des forces démocratiques, s'est résolument engagée dans la même logique du système qui consiste à faire illusion en ne cédant jamais sur l'essentiel. Elle vient, à ce titre, comme un excellent appoint à la commission des réformes de Bensalah et aux assises de la société civile confiées à Babes, deux évènements sur lesquels le régime s'est fortement investi pour perdurer. Sinon, pour reprendre une interrogation qui titille l'esprit de tout Algérien qui s'attend à ce que son pays sorte enfin du marasme dans lequel on l'a confiné, comment prétendre donner un sens concret à la notion du changement lorsqu'on est impliqué jusqu'au cou dans toutes les déviations produites par ce même système ? Autrement dit, comment changer le système quand on est encore dedans ? Par essence et par définition, une société civile digne de ce nom doit être un contrepoids au pouvoir en place, et pour cela elle a besoin de toute son indépendance vis-à-vis des institutions de l'Etat pour jouer son rôle. Comment pourra-t-elle assumer pleinement ses responsabilités si elle accepte de se mettre sous la coupe d'un organe étatique qui a pour fonction de défendre les points de vue du gouvernement. Idem pour la commission des réformes qui promet d'étudier toutes les voies pouvant mener vers la démocratie à partir des avis récoltés auprès d'un panel hétéroclite de consultations, alors que dans une large mesure elle a été boycottée par les entités politiques qui parlent le mieux le langage de la démocratie. Avec ces deux créations du pouvoir pour créer un évènement factice par rapport aux vraies questions posées par les mobilisations citoyennes touchant pratiquement toutes les catégories sociales et professionnelles, on a la nette impression qu'on veut réinventer la démocratie en Algérie où le joueur de cartes et son compteur ne font qu'un ( laâb hmida oua recham hmida). Les stars de la télé réalité, version hiwar essaâ, ne disent pas autre chose. Ils nous parlent de changement en prenant le soin de ne jamais évoquer le système, mais en nous précisant que ce sont eux qui resteront les maîtres du jeu. Au nom de quelle légitimité, on se le demande… Cette volonté farouche de ne jamais céder le qoursi a été d'ailleurs bien exprimée par le leader du FLN contre ceux qui le contestent dans son propre camp : il faut faire appel à la France et à l'OTAN, sinon on ne bougera pas… Que dire de plus ?...