L'opération de relogement de la wilaya d'Alger ne s'est pas déroulée comme prévu. Entre émeutes et routes coupées, El Watan Week-end a suivi une famille à la rencontre de sa nouvelle cité. Où les habitants gardent le même mode de vie que dans les bidonvilles où ils étaient, pour certains, depuis plus de vingt ans… Ambiance. «Mieux que la baraque», commente aâmi M'hamed, habitant d'un taudis à Oued Koriche, relogé mercredi soir à Beni Messous. Tel un «peut mieux faire» d'un enseignant infligé à son élève sur un bulletin de fin d'année, la sentence tombe. «On n'en a pas fini avec la crise du logement. Vous voyez, j'ai sept enfants, trois sont en âge de se marier. Mais ce n'est pas dans ce nouvel appartement de trois chambres que je vais les marier», constate-t-il. La famille vient d'obtenir le feu vert des autorités locales pour déménager, en pleine nuit, de Hai El Fourquane, un bidonville perché sur une colline boisée, à Beni Messous. Le baraquement, dans lequel certaines familles vivent depuis quinze ans, a été construit durant la décennie noire et a abrité même des terroristes. «On les entendait marcher sur nos toits, le soir», raconte ses habitants. Les années passent et d'autres familles, dont certaines fuyaient le terrorisme, sont venues de différentes wilayas. Dans les années 2000, ce sont les policiers mariés qui y ont élu domicile. La famille de aâmi M'hamed avait pour adresse un numéro. Le numéro 1, désigné par la mairie de Bab El Oued. Un numéro que tous les habitants des bidonvilles et autres taudis rêvaient d'obtenir depuis des années. «Pour nous, ce numéro signifiait la reconnaissance de l'Etat de notre malheur, de notre misère. En même temps, cela nous donnait l'espoir d'être relogés un jour», nous explique Redouane, un habitant de Haï El Fourquane. Recensées à plusieurs reprises, ces familles ont nourri l'espoir, durant des années, de se voir relogées dans des appartements «dignes d'êtres humains». L'opération de relogement dans la wilaya d'Alger a été marquée par des émeutes, des affrontements, voire des refus de certaines familles de déménager. «Pas le choix» Les habitants des cités de Diar El Kef et Diar Echems, par exemple, ont refusé de se voir loin de la capitale. Ce qui a suscité la réaction du ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, qui a déclaré mercredi au quotidien El Khabar : «Nous n'avons jamais entendu dire ailleurs dans le monde que des familles refusent des appartements !» Alors que les autorités avaient misé sur cette opération grandiose de relogement pour calmer la grogne sociale, les populations concernées ont répondu par des routes coupées et des émeutes, dont les plus violentes ont éclaté à Baraki. Des arrestations ont eu lieu partout à Alger. Il faut dire aussi que les services de la wilaya ont géré cette opération sans communiquer. A nos tentatives répétées de joindre les responsables, personne n'a jamais répondu. Le wali d'Alger, Mohamed Kebir Addou, peu prolixe d'habitude, a définitivement attisé la colère des habitants des bidonvilles par un tranchant : «Ils n'auront pas le choix», avant de revenir sur ses propos en déléguant aux walis délégués la tâche de négocier avec les représentants des cités pour endiguer une crise qui a failli provoquer des émeutes généralisées. En plus des nombreuses irrégularités qui ont marqué cette opération, des familles se sont vu retirées des listes avant d'être à nouveau convoquées pour un déménagement. Des Youyous D'autres ont pu déménager avant même la date officielle de l'opération, grâce à des attributions officieuses. Aâmi M'hamed fait partie de ceux-là. Après avoir refusé de nous parler - certainement gêné vis-à-vis de ses voisins restés dans le baraquement - il a accepté finalement que nous le suivions. Un des habitants nous explique la situation. «Il vit là depuis quatre ans et a réussi à décrocher un logement social, alors que nous sommes ici depuis des années, prétend-il en voyant défiler sous ses yeux frigo, meubles et matelas. Il a fait appel à ses connaissances pour obtenir son logement.» Un membre de la famille de aâmi M'hamed se défend. «On a failli nous priver de ce logement. Sans l'intervention de connaissances et une requête adressée au wali délégué, nous serions toujours là. A la mairie, on nous a dit que notre dossier avait été égaré…» L'opération de déménagement dure des heures. Des camions sont loués et les voitures des cousins sont sollicitées. Le convoi démarre enfin, destination Beni Messous. Les femmes ont été les premières à rejoindre l'appartement, d'environ 85 m2 pour faire le nettoyage. A l'arrivée de la famille, des youyous fusent. La cité nouvellement construite est déjà surpeuplée. Des groupes de jeunes animent le quartier et des adultes discutent d'un moyen de s'organiser pour le gérer. Aâmi M'hamed arrive, il ne laisse pas paraître son émotion. Des accents d'autres wilayas Ses enfants, eux, sont tout contents de leur nouveau logement. On commence déjà à monter les affaires dans la nouvelle maison. En face, un voisin a déjà entamé des travaux dans son appartement… pourtant tout neuf. Des bâches en guise de rideaux habillent déjà les balcons. «Un peu comme dans les bidonvilles», commentent les nouveaux arrivants. Les discussions sont les mêmes. «Errahla» (relogement). Certains ont déjà commencé les investigations pour connaître les voisins bénéficiaires, notamment ceux qui ne sont pas issus de leur quartier d'origine. «Ces logements sont destinés à notre ex-quartier, mais on aperçoit d'autres têtes, avec des accents d'autres wilayas, nous disent-ils. Des appartements sont fermés, c'est louche, mais nous ferons tout pour les démasquer», nous révèlent-ils. Pendant que Aâmi Ahmed s'installe, nous faisons un tour dans la cité. Des jeunes marquent leur territoire en s'imposant à l'entrée de la cité. D'autres cherchent des diki (coins) dans les immeubles vides. Certains reprennent la vente de zetla. Le tout… sous le regard des gardes communaux.