Un Président entre au Val-de-Grâce pour un ennui oculaire, des questions pressentes se posent et sa sortie, entouré de sa famille face aux micros et aux caméras, alimente aussitôt la polémique à propos d'une débauche de stratégie de communication au service des besoins personnels de l'homme politique. Un autre Président lui succède au Val-de-Grâce pour des maux qu'on a du mal à connaître, la vacance du pouvoir est laissée à son appréciation et l'épanchement qui accompagne sa sortie est indescriptible. Que le lecteur se rassure immédiatement, cette mise en parallèle n'est en aucune manière la reproduction stupide du cliché du complexe vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. Il ne s'agit non plus de dissimuler le réel soulagement que l'on a face à la guérison de tout homme, quels que soient son identité et son rang. Il s'agit encore moins de changer nos sociétés en de monstres froids qui annihileraient l'affectif, l'Algérie n'est pas le pôle Nord, comme Marseille ne ressemblera jamais à Strasbourg, et c'est très bien ainsi. Cependant, l'Algérie se veut être une grande nation de ce monde et se doit, par conséquent, de faire la part des choses entre l'affectif et le politique. Un certain nombre de rappels me viennent à l'esprit pour en faire la distinction, je les soumets sans exhaustivité ni hiérarchisation. Le politique, c'est de réclamer que l'absence d'un chef d'Etat soit gérée avec le respect de règles établies, sinon constitutionnelles, tout au moins d'usage, dans une société démocratique. L'homme est souffrant, mais le Président est absent, ainsi se conçoit la dure réalité des responsabilités d'Etat. Que ceux qui ont légitimé la fonction incarnée par l'homme en question (ce n'est pas mon cas) se comportent avec le courage et la sévère critique qui honorent le mandat donné. Le politique, c'est de réclamer la même justice pour tous. J'aurais souhaité que la ferveur générale et bruyante soit présente pour réclamer la fin des souffrances de nos compatriotes emprisonnés pour délit d'opinion, comme c'est le cas de Benchicou et de bien d'autres. Le politique, c'est de juger les résultats d'un pays avec lucidité et sans complaisance. Si le régime politique qui vous a dépouillé de tous vos biens et de votre âme vous jette un morceau de pain (le vôtre), le moins que l'on puisse attendre d'un esprit indépendant est d'éviter d'entrer en transe pour le remercier. Les images auxquelles nous avons été confrontés ne sont plus dignes d'une société qui maîtrise le discernement politique et la critique. Personne n'a de leçon de moralité à recevoir quant à la réalité de son soulagement de voir une personne humaine délivrée des affres de la maladie, ce n'est pas pour autant qu'il doit perdre le sens politique des faits. Le politique, c'est de s'inquiéter d'une nation qui s'émeut avec un élan collectif de la santé d'un homme (ce qui est honorable en soi), tout en refusant avec violence et mépris le statut de citoyenneté à des millions d'autres sous prétexte de différence linguistique et culturelle. Le politique, c'est enfin de s'inquiéter des risques que peut courir un simple citoyen lorsqu'il doit être pris en charge par le système médical de son pays. Si une maladie « sans gravité majeure » (selon les termes officiels) entraîne une hospitalisation à l'étranger du chef de l'Etat, nos éminents spécialistes avec leurs blocs opératoires les plus performants ont des questions à se poser. Dans le cas contraire, la minimisation de la maladie est de toute façon un mensonge d'Etat inadmissible pour un élu qui dispose de pouvoirs institutionnels sans limites. Vous êtes ailleurs et l'Algérie n'est plus votre problème, me rétorqueront certains. Oui, mais alors, pourquoi mes impôts ont-ils servi à régler partiellement (si ce n'est en totalité) la facture du Val-de-Grâce ? Si ce n'est pour affirmer mes droits au questionnement. (*) L'auteur est Enseignant.