Dans l'appartement de la rue du Faubourg Saint-Antoine, les cartons s'amoncellent. Marie, la fille de Jacques Charby, et Katia, sa marraine, s'affairent à ranger documents, courrier et livres du militant et comédien récemment disparu. Selon les deux femmes, Jacques Charby avait la bibliothèque privée la plus étoffée sur l'Algérie. Il possédait également des documents inédits. Tout cela sera remis à une bibliothèque publique. Marie, 26 ans, comédienne comme son père, nous affirme qu'elle attendait notre rendez-vous avec beaucoup d'appréhension, craignant de ne pas pouvoir dire toute la richesse « des vies » de son père. « Je suis fière de papa, et de ce qu'il a fait, de toutes ses vies différentes, du militant, du comédien. C'est un papa clown, il a monté et joué un spectacle dans mon école primaire. Il aimait bien le débat, l'échange d'idées, cela pouvait durer des heures, voire des jours », nous dit Marie, d'une voix douce. Katia appuie le propos de sa filleule : « Il était connu pour ses coups de gueule, mais était admiré. Jacques était quelqu'un qui ne pouvait pas laisser indifférent. C'était un homme indigné, mais de très grande ouverture d'esprit. Ce n'était pas un homme de slogans. » « Jacques avait un tempérament de trotskiste, c'était un emmerdeur, il était toujours à la recherche de la vérité, il ne supportait pas ce qu'il considérait comme un arrangement de l'histoire. Il avait un grand respect pour Henri Alleg, mais il trouvait qu'il s'était fourvoyé en faisant profiter le Parti communiste plus qu'il n'en méritait peut-être ; Jacques était intransigeant et inflexible. » L'amie intime fait allusion au débat polémique que Jacques Charby a suscité ces tout derniers jours par presse interposée sur le rôle du Parti communiste pendant la guerre d'Algérie. Cela a commencé par une tribune de Jacques Charby dans Le Monde, le 5 novembre, à la faveur du livre d'Henri Alleg, puis il y a eu une réponse de Saddek Hadjérès dans Le Quotidien d'Oran et El Watan, à laquelle Jacques Charby a répondu dans El Watan, le 13 décembre dernier, réponse publiée par Le Quotidien d'Oran, jeudi dernier. Il y a eu aussi la réaction de Jacques Fat, secrétaire de la commission des relations internationales du Pcf, et Hélène Cuénat, ex-membre du Réseau Jeanson, membre du Pcf. Hélène Cuénat, qui avait connu Jacques Charby dans le réseau Jeanson, dont ils étaient membres l'un et l'autre, nous dit que « ce n'est pas un livre que Charby aurait dû écrire (Les porteurs d'espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d'Algérie : les acteurs parlent. Editions La Découverte, 2004), mais une pièce de théâtre avec tous les acteurs qu'il avait recrutés. C'était une force de conviction, un homme généreux, chaleureux et drôle. Sa mort me fait comme un ouragan alors que nous n'étions pas d'accord sur le plan politique ». Jacques Charby était un homme de combats, d'engagements pour des causes justes : l'indépendance de l'Algérie, la défense des comédiens, des sans-papiers... « L'expérience du syndicalisme de son père, du nazisme ont fait de Jacques Charby un homme à fleur de peau sur le plan politique. L'Algérie en est la suite. Cela a représenté un retour au pays, l'Algérie, lui dont les parents étaient des Arabes judaïsés, exilés en France pour des raisons économiques », souligne Katia. Le père de Jacques Charby était un ouvrier du livre, un juif de Tlemcen chassé de sa ville natale en 1920 par la misère. « Il avait ce qu'on a appelé le refus de parvenir. Jacques avait la même position. » Jacques Charby a exercé 17 métiers différents. Il a commencé sa carrière de comédien - qu'il a interrompue en 1958 pour rejoindre le réseau Jeanson en 1958 - au Grenier de Toulouse avec Daniel Sorano. Le théâtre a occupé une place importante dans sa vie. Le rôle dont il était le plus fier, c'est celui d'Arnolphe dans L'Ecole des femmes. Il a joué plus récemment Electre. Il était au sein de la CGT, pendant 30 ans, un représentant apprécié du SFA pour sa capacité de trouver des solutions. « C'était un homme généreux, il avait reçu, accueilli, hébergé un nombre incroyable de gens », dit Marie. Il était drôle. « Ah le beau garçon que voilà, Jacques Charby est passé par là », disait-il en passant devant un miroir, ce qui a toujours fait rire sa fille. Quelques jours avant sa mort, il écrivait une chanson : Quand j'étais vieux. Il a animé des émissions à France Culture. Il avait eu l'idée de faire une émission sur la Libération de Paris à partir des plaques commémoratives en hommage aux gens morts pendant la guerre. « Jacques était un intellectuel à la fois affirmé et timide, car il était autodidacte. Il avait une révérence pour le savoir universitaire. » En 1962 il écrit Les enfants d'Algérie aux éditions Maspero. Des récits et dessins d'enfants de l'orphelinat Yasmina. Un livre traduit en plusieurs langues dont il ne reste qu'un exemplaire, celui que tient précieusement en mains Marie. Jacques Charby revient en France avec Mustapha Belaïd, un enfant de dix ans qu'il adopte. Le récit de Mustapha, mort il y a deux ans - un grand déchirement pour le père adoptif - figure dans le livre. Mustapha joue son propre rôle dans Une si jeune paix dont le scénario a été écrit par Jacques Charby. Jacques Charby disait que Mustapha, qui ne s'était jamais remis de ses douloureux souvenirs (la mort de ses parents sous ses yeux, son bras brûlé par des soldats, son errance...), était « une victime tardive de la guerre ». Pour ses obsèques, Jacques Charby a interdit le moindre signe religieux. Il sera inhumé cet après-midi auprès de sa mère, morte victime du racisme. Elle s'était suicidée en 1941 pour échapper à la police française alors que son mari était en prison. Jacques (12 ans) et son frère Pierrot (10 ans) avaient alors traversé tout seuls la France pour rejoindre un ami de leur père en zone libre. Arrivés à destination, celui-ci venait d'être arrêté. L'errance des deux enfants a duré longtemps. Ils finissent par retrouver leur père libéré et s'installent tous les trois à Toulouse.