Le docteur M'hand Berkouk est diplômé en sciences politiques et en philosophie des sciences de l'université Southampton (Angleterre). Actuellement, il est maître de conférences à l'université d'Alger et à l'institut diplomatique et des relations internationales relevant du ministère des Affaires étrangères. Il est également membre de Conseil consultatif international de l'Association mondiale des études sur le Moyen-Orient. Dans cet entretien, Dr Berkouk a expliqué les raisons de la faillite du mouvement associatif en Algérie. En tant que politologue, quel regard portez-vous sur le mouvement associatif en Algérie depuis, notamment l'ouverture de l'espace public consacrée par la Constitution du 23 février 1989 et la loi n° 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations ? Malgré l'existence d'un dispositif juridique et procédural régissant la création et le fonctionnement du mouvement associatif, ce dernier reste atomisé sur le plan sectoriel et non performant sur le plan fonctionnel. Son impact sur la société demeure timide. Censé être une courroie de transmission entre gouvernés et gouvernants, le tissu associatif n'a pas pu devenir un canal réel de mobilisation permanente ni une force effective de proposition, encore moins un relais crédible des « griévances » citoyennes. D'aucuns ont remarqué un net refroidissement, voire un déclin du mouvement associatif. Comment peut-on expliquer cela ? L'incapacité du mouvement associatif algérien à s'affirmer sur les plans social et politique est due, à mon sens, à cinq raisons essentielles. Il y a, en premier lieu, l'incompétence managériale (leadership weakness) de ces associations qui accusent souvent un déficit en transparence et en bonne gouvernance corporative. Il y a, ensuite, l'ambiguïté de l'utilité sociale de ces associations qui sont souvent idéologisées, instrumentalisées ou tout simplement créées à des fins d'utilité restreinte et parfois de rente. A ces deux raisons, se greffe une troisième : l'absence d'une culture civique moderne et moderniste qui pourrait influencer sur les orientations générales ou sectorielles de l'Etat. La quatrième raison est le manque d'indépendance financière d'un nombre important d'associations. Il y a, enfin, les restrictions et les lourdeurs bureaucratiques en ce qui concerne les associations à caractère national. L'Algérie compte au total 75 000 associations. La France en compte plus d'un million. Comment expliquez-vous cette disparité ? La disparité n'est pas uniquement d'ordre quantitatif, mais elle est essentiellement fonctionnelle et cela est dû à plusieurs raisons. Le mouvement associatif en France est un capital social qui crée des idées, canalise l'opinion et influe sur les choix politiques. C'est une véritable société civile. En Algérie, on en est encore à l'ère associative dépendant de la sphère gouvernante. Aussi, la société civile en France est une valeur sociale, une culture et une co-intelligence sociale qui reflète une certaine maturité libérale et non pas un mouvement associatif qui se cherche encore et qui questionne toujours les valeurs essentielles de la société et de l'Etat. La société civile, surtout quand elle est performante, devient un moyen tampon entre le pouvoir, les partis et la société. C'est un véritable mécanisme d'évaluation du niveau de santé d'une démocratie et du degré d'insertion sociopolitique des citoyens dans la gestion des affaires de l'Etat. Les associations créées à la faveur de la loi 90-31 ont-elles réellement joué un rôle dans la société ? Je crois que, malgré l'importance numérique de ces associations, elles restent inefficaces sur les plans opératoire et fonctionnel. A l'exception des associations féministes, syndicales, berbéristes, islamistes ou islamisantes, de la défense des droits de l'homme, le mouvement associatif n'a pas contribué grandement aux débats sur les choix politiques et de politique en Algérie. La plupart de ces associations vivent un état de léthargie et ne se manifestent qu'à l'occasion des échéances électorales ou comme mécanismes de légitimation du pouvoir. Quel avenir pour le mouvement associatif en Algérie ? Avec les choix politiques démocratiques de l'Algérie, le mouvement associatif doit être refondé pour qu'il puisse se transformer en une société civile capable de contribuer effectivement dans la refondation de l'Etat algérien. Elle doit contribuer aussi à la création d'une culture civile centrée dans la citoyenneté, la modernité et la tolérance. On ne pourrait parler d'un avenir serein pour ce mouvement que s'il se crée cette culture citoyenne qui favorise la participation politique, le mérite et la sanction.