Le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, vient de mettre les pieds dans le plat en accusant sèchement Messali Hadj, le fondateur du Mouvement national algérien (MNA), de «traître» et les messalistes de «collaborateurs». N'était le statut de cette organisation sociale qui a toujours gravité dans le giron du pouvoir, se posant en dépositaire et garante de la préservation de l'histoire et de la mémoire nationales, sa déclaration aurait été appréciée pour ce qu'elle est : une opinion personnelle d'un moudjahid, ou bien encore une position officielle d'une organisation, celle des moudjahidine, sur un fait d'histoire comme on en entend ici et là. Mais voilà, c'est que l'Organisation des moudjahidine n'a pas pour habitude de prendre ce genre de liberté avec l'histoire, un domaine dont on a pu mesurer le caractère sensible, explosif, chaque fois que l'on tente de parler de notre histoire autrement qu'en empruntant le chemin balisé de l'écriture officielle. D'ailleurs, pour éviter de rompre ce consensus générationnel autour de l'histoire par des déclarations ou des positions au sujet desquelles on a toujours fait croire que l'Algérie n'est pas encore prête politiquement, moralement, à admettre dans le débat public, l'ONM s'est spécialisée dans les confortables cérémonies commémoratives officielles qu'elle organise régulièrement. Depuis que l'aéroport de Tlemcen porte le nom de Messali Hadj – une décision qui est intervenue sous le second mandat de Bouteflika – beaucoup avaient interprété cela comme un signal politique fort venu d'en haut pour réhabiliter à titre posthume Messali Hadj après qu'il eut été gommé de l'histoire officielle depuis l'indépendance. La tenue, il y a quelques jours à Tlemcen, du séminaire sur Messali Hadj – une initiative, officiellement, de la société civile qui avait suscité une vive polémique dans certains milieux – avait conforté cette thèse. Comment alors analyser cette sortie médiatique pour le moins inattendue du secrétaire général de l'ONM sur Messali Hadj ? Les novembristes ont-ils repris la main dans cette partie de bras de fer sur cette page de l'histoire fortement controversée ? Si c'est le cas, cette offensive a-t-elle reçu l'assentiment de Bouteflika qui aurait reculé à la suite du tollé soulevé par la tentative de réhabilitation qui ne dit pas son nom ? Dans le cas contraire, l'Organisation des moudjahidine a-t-elle tenu, par cette posture, à se démarquer de la position officieuse ou semi-officielle qui se précise par petites touches ? Une chose est sûre : la déclaration du patron de l'ONM soulève plus d'interrogations qu'elle ne suggère de pistes d'analyse ou une volonté réelle d'interroger l'histoire, avec ses faits et ses méfaits, en se focalisant beaucoup plus sur les péripéties qui ont marqué la Révolution algérienne que sur les hommes. Après avoir attendu plusieurs décennies, à peine entr'ouverte, de façon informelle et timorée, cette page de l'histoire, décidément si lourde à porter par la mémoire collective, semble être vite refermée. Laissée entre les mains des politiques, l'histoire, qui est un patrimoine commun, devient un enjeu de pouvoir, un facteur de légitimation des uns et de délégitimation des autres.