Emprisonné depuis trois mois, le maire de Zéralda, Mouhib Khatir, a entamé une nouvelle grève de la faim pour protester contre les lenteurs judiciaires, alors que son épouse dénonce un acharnement contre la famille. Tous les mercredis, depuis trois mois, le rituel est le même. Sabrina Khatir rassemble ses six enfants pour décider qui va l'accompagner, le lendemain, au parloir de la prison de Hadjout. Depuis le 6 juillet, Mouhib, son mari, attend que la justice statue sur son cas. Un prévenu pas comme les autres, puisqu'il s'agit du maire de Zéralda, qui a dénoncé pendant longtemps les «pratiques mafieuses» dans sa commune. Acquitté pour une première affaire d'outrage à forces de l'ordre (le procureur de la République a fait appel de la décision), il doit comparaître pour une autre affaire d'escroquerie concernant l'achat de téléphones portables. Après une première grève de la faim cet été – sa famille et l'avocat et président de la Ligue des droits de l'homme, Mustapha Bouchachi, l'avaient convaincu d'y mettre fin –, il a à nouveau décidé d'arrêter de se nourrir il y a huit jours. «Enfin, hier, l'administration pénitentiaire l'a contraint à choisir : où il recommence à manger, ou il est privé de parloir…», révèle sa femme. A ce parloir, justement, la loi n'autorise la visite qu'à trois membres d'une même famille. «C'est très difficile, je me retrouve obligée de choisir lequel des enfants aura la chance d'aller voir son papa. Je sais que les recalés en souffrent, mais ils acceptent le procédé», raconte-t-elle. Laminés Depuis l'arrestation de son mari, il y a trois mois, par des hommes en civil devant chez lui et son emprisonnement, Sabrina Khatir a dû réorganiser sa vie autour de la défense de son conjoint. Malgré un pontage coronarien qui l'a contrainte à un suivi et à une lourde médication, elle est montée au front pour soutenir son mari. C'est lors d'une interview à la chaîne France 24 que les Algériens ont pu découvrir le visage marqué de cette femme qui ne mâche pas ses mots, déterminée à lutter pour la libération de son mari. Aujourd'hui, malgré de nombreux courriers envoyés au président de la République, aucune date de procès n'a encore été fixée et sa famille craint qu'on veuille le laisser croupir en prison pour le punir. «Je ne veux pas revoir mon mari dans l'état dans lequel il se trouvait lors de sa première grève de la faim. Il avait les traits creusés et était physiquement très affecté, mais je comprends sa démarche.» Jeudi matin, la famille Khatir passe d'abord par le tribunal de Hadjout pour récupérer un permis de visite avant de rejoindre la prison de la ville. «On arrive vers 10h30, ils nous remettent le permis et on va directement à la prison pour voir Mouhib. On lui apporte un couffin où il y a essentiellement de la nourriture et un nécessaire de toilette. La rencontre est brève, elle dure quinze minutes», précise sa femme. Séparés par une épaisse vitre, l'ancien maire de Zéralda et sa famille vont pouvoir se parler en utilisant le téléphone du parloir. Cinq minutes de conversation pour chaque membre de la famille et le combiné qu'on s'échange à tour de rôle. «Quinze minutes, c'est peu mais je me rends compte que les enfants et moi, on a appris à aller à l'essentiel lors de nos rencontres. On évite de s'appesantir sur notre sort. Chacun joue la comédie du bien-être. Nous, nous ne voulons rien laisser transparaître de notre tristesse et lui aussi, mais au fond nous sommes tous laminés…», concède-t-elle. Avertissement Quand Sabrina Khatir veut transmettre une information importante à son mari, elle l'écrit sur une feuille qu'elle plaque contre la vitre. Elle se méfie du téléphone. Car c'est aussi par téléphone qu'un «juge» l'a appelée pour lui «demander d'arrêter d'ameuter les médias», après son intervention sur France 24 cet été. «Ce juge a été très clair : je dois arrêter de parler sinon je le paierai cher», affirme-t-elle. Mardi dernier, Sabrina Khatir a été convoquée par le commissariat de Zéralda au sujet d'une plainte déposée à son encontre par Lilya Issad «Tout cela entre dans l'affaire qui oppose mon mari à la gérante du centre des affaires de Zéralda, résume-t-elle. En réalité je crains qu'on veuille le laisser croupir en prison pour salir son casier judiciaire et l'empêcher de se représenter à la mairie de Zéralda…»