Tout compte fait, le passage à gauche de l'Amérique latine n'est pas un effet de mode. C'est un choix de centaines de millions de cette partie du monde lourdement affectés par des choix économiques qu'ils n'ont pas librement consentis. Il n'y a pour cela qu'à examiner d'assez près la crise bolivienne, celle qui a conduit à la chute du président en place, et permis l'élection d'un syndicaliste Evo Morales. Ou encore au Brésil, ce nouveau géant qui revendique avec insistance une place dans la cour des grands, dans les dix premiers très certainement, et une autre en tant qu'acteur majeur des relations internationales avec un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Depuis quelques années, ce pays est dirigé par un ancien syndicaliste que beaucoup croyaient poussé vers une retraite politique anticipée, pour son idéologie jugée extrémiste. Mais Lula a fait preuve de beaucoup de réalisme, et il est en train de réussir son expérience plutôt social-démocrate. Au Venezuela, l'opposition, malgré ses soutiens extérieurs, n'a pas réussi à chasser du pouvoir le très charismatique Hugo Chavez. C'est dire l'importance de ce mouvement politique d'envergure. Ou plutôt une impressionnante vague qui a également porté au pouvoir en Bolivie, un personnage qui se distingue déjà par son anti-conformisme. Il s'agit d'Evo Morales parti rapidement en campagne pour rallier des soutiens extérieurs, et rassurer tous ceux qui voyaient en lui un danger potentiel. Il vient quant à lui de déclarer qu'il pardonnait au gouvernement américain les humiliations et accusations formulées à son encontre par les Etats-Unis, se disant prêt au dialogue avec ce pays. « Je pardonne aux personnels de la Maison-Blanche tant d'humiliations, tant d'accusations. Je pardonne parce qu'il faut parier, par le dialogue, sur la recherche de la paix et de la justice sociale », a-t-il déclaré. Expliquant avoir lu sur Internet que le « département d'Etat américain veut un dialogue et un contact avec Evo Morales », il a répondu : « Depuis l'Afrique du Sud, (où il se trouvait la semaine dernière, ndlr) je veux dire au gouvernement des Etats-Unis et au département d'Etat que nous, mouvement indigène, sommes d'une culture de dialogue. » « Tout dialogue visant à en finir avec la pauvreté et la discrimination est bienvenu », a ajouté Evo Morales, venu en Afrique du Sud dans le cadre d'une tournée internationale qui l'a notamment conduit à Cuba, au Venezuela, en France, en Espagne et en Chine. « Nous ne voulons pas de dialogue, ni de relations internationales de soumission, de subordination », a-t-il ajouté. Premier indien élu à la présidence de Bolivie, le 18 décembre, Evo Morales, 46 ans, leader du Mouvement vers le socialisme (Mas) et des cultivateurs de coca, doit prendre ses fonctions le 22 janvier à La Paz. Interrogé sur les propos du président vénézuélien Hugo Chavez concernant la préparation par Washington d'une conspiration contre son futur gouvernement, il a répondu : « Dans tous les cas, (je crois) le président du Venezuela car nous avons toujours été menacés (...) intimidés au travers des médias, accusés de tout ». « Je n'ai pas été invité par le gouvernement des Etats-Unis, mais j'ai eu un premier contact avec l'ambassade (...) Cependant, s'il y a un dialogue avec le gouvernement des Etats-Unis, nous parlerons de politiques économiques. » « Personne, pas un pays dans le monde, y compris les Etats-Unis, n'est autosuffisant. C'est pour cela que tout dialogue doit viser à résoudre les problèmes socio-économiques de la majorité dans chaque pays », a-t-il estimé. Quant à d'éventuelles nationalisations, il a réaffirmé que « les ressources naturelles doivent appartenir au peuple ». « En Bolivie, il va y avoir une troisième nationalisation des hydrocarbures (...) Cela ne signifie pas exproprier, confisquer ou expulser les compagnies pétrolières. Nous serons associés, pas propriétaires. La récupération des investissements et le droit au profit, mais à un profit basé sur l'équilibre, sont garantis », a-t-il affirmé. Le Brésil, où il a rencontré le président Luiz Inacio Lula avant de regagner la Bolivie, était la dernière étape de la tournée d'Evo Morales qui, depuis le 30 décembre, s'est notamment rendu à Cuba, au Venezuela, en France, en Espagne et en Chine. Au sujet de ses liens avec le président vénézuélien Hugo Chavez, cet adversaire du néolibéralisme, a déclaré : « Nous sommes du même mouvement, de pays différents (...) mais avec la pensée unique de libérer l'Amérique latine pour qu'elle vive sur la base de ses ressources naturelles. » M. Morales, qui s'est fait connaître comme le leader des cocaleros, les cultivateurs boliviens de coca, a réaffirmé que « la coca fait partie de la culture ». « Nous visons zéro trafic de drogue et zéro cocaïne, mais pas zéro coca, ni zéro cocaleros comme ce fut le cas avant », a-t-il cependant souligné. Est-ce suffisant pour éviter un retour aux années de plomb, celles des putsches que l'Amérique latine et la Bolivie beaucoup plus que d'autres, connaissent parfaitement. A l'inverse, il apparaît très clairement que les nouveaux dirigeants portés au pouvoir par la voie démocratique entendent aller dans le sens des préoccupations locales, pour éviter de plus grandes fractures, et préserver la cohésion sociale.