Après plusieurs décennies de dictatures militaires, de guérillas, de guerres civiles et de conflits armés, les pays latino-américains se sont mis sur les chemins de la démocratie. La tenue d'élections sans fraude et la participation des autochtones et des femmes à l'exercice politique, constituent désormais la norme dans la région. La confrontation ne se fait plus par le biais de la violence mais par la voie démocratique. Plus de gouvernements militaires et plus de coups d'Etat. De profondes mutations politiques et économiques y sont opérées, d'autres sont en cours. Les spécialistes, prenant en compte l'ampleur des changements, parlent d'une « révolution continentale ». A l'exception de la Colombie où un conflit interne reste à résoudre, on peut dire que le profil politique des pays latino-américains est plus au moins remodelé. Ce processus devra, par ailleurs, se poursuivre jusqu'à la fin de l'année en cours avec la tenue des élections présidentielles dans de nombreux pays. De la fin de l'année 2005 jusqu'au mois de décembre 2006, ce sont onze pays qui auront élu leur chef d'Etat. Ces onze pays, faut-il le relever, réunissent 85% de la population du territoire latino-américain, dont une grande partie se trouve au Brésil (176 millions) et au Mexique (103 millions). Le processus de démocratisation dans ces pays a été enclenché avec l'élection, au Venezuela, de Hugo Chávez à la fin des années 1990. Au Chili, la socialiste Michelle Bachelet a succédé à Ricardo Lagos au début de l'année 2006. Auparavant, Lula de Silva a été élu au Brésil (2002), Nestor Kirchner en Argentine (2003), Tabaré Vasquez en Uruguay (2004) et Evo Morales en Bolivie (décembre 2005). A la lumière des résultats des scrutins qui ont déjà eu lieu dans plusieurs pays, les observateurs ont dû constater un « glissement régional » vers la gauche. Cette tendance politique, qui va de la plus modérée à la plus radicale, gère actuellement de nombreux gouvernements (Venezuela, Cuba, Panama, Argentine, Uruguay, Chili, Brésil et Bolivie). La poussée des gauches diverses pourrait, cependant, s'étendre à d'autres pays de l'Amérique latine, notamment, le Mexique, l'Equateur et le Nicaragua. Cuba pourrait, toutefois, rester en marge de cette « révolution » tant son premier dirigeant Fidel Castro, allergique qu'il est à tout changement, refuse toujours le pluralisme politique. Comment peut-on expliquer cette nouvelle tendance ? Selon les spécialistes de cette région, l'accession de la gauche au pouvoir est favorisée par les crises multiformes qui ont secoué l'Amérique latine. Dans de nombreux pays, les principaux indicateurs sociaux étaient au rouge, d'où les risques d'explosions sociales. En 2003, 40% des Latino-Américains vivaient au-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2 dollars par jour. C'est justement cette situation d'extrême indigence qui a facilité l'apparition des mouvements sociaux et la consolidation des organisations populaires, des syndicats, des associations de quartiers et des mouvements paysans. Grâce à la politique qu'elle proposait, la gauche a pu gagner la sympathie des couches les plus défavorisées. L'une des premières actions lancées par certains gouvernements de gauche est la reprise par l'Etat des richesses naturelles des pays concernés. A ce sujet, la nationalisation du pétrole et du gaz en Bolivie a sérieusement inquiété les Occidentaux. Le président bolivien Morales a indiqué, dans un discours aux allures anti-impérialistes, que « la nationalisation est un acte souverain et légitime de la Bolivie dans sa lutte contre la pauvreté ». Front anti-américain ? La réaction des Etats-Unis ne se fait pas attendre : « Nous n'abandonnerons pas les peuples des Amériques aux démagogues et aux dirigeants autoritaires », a déclaré la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice. Cependant, face aux pressions américaines, les chefs d'Etat des pays concernés ont proposé la création d'une alliance continentale en plus d'un réseau énergétique sud-américain. Selon le président brésilien Lula, « ni le Brésil, ni l'Argentine, ni le Venezuela, ni la Bolivie ne recherchent l'hégémonie. Ils veulent être des associés. Nous construirons une alliance continentale ». Dans cette perspective, ces pays jouent la carte anti-Bush. Néanmoins, aussi paradoxal que cela puisse paraître, plusieurs gouvernements latino-américains se sont mis à soutenir la lutte antiterroriste des USA et même la guerre en Irak. Pourquoi ? « Plus les Etats-Unis s'investissent ailleurs dans des conflits complexes et compliqués, plus les forces sociales latino-américaines se sentent plus libres pour proposer leurs projets, présenter leurs candidats et mettre en œuvre leurs programmes », a estimé un analyste de la région. Pour lui, « ce n'est pas un hasard si la multiplication de candidatures de gauche en Amérique latine et leurs succès ont lieu alors que l'administration américaine se trouve empêtrée par sa politique au Proche et au Moyen-Orient et éloignée des avatars des sociétés latino-américaines ».