Ahmed Nejib Chebbi, leader historique du Parti démocrate progressiste (PDP, centre gauche) a eu, lundi soir à Tunis, une attitude noble. Il a, devant les caméras, reconnu la défaite de son parti et félicité les vainqueurs au scrutin sur l'Assemblée constituante. «C'est la décision du peuple tunisien. Dorénavant, nous allons rejoindre l'opposition, accentuer le contrôle sur l'action du gouvernement et critiquer son action», a-t-il déclaré à Al Jazeera. «Nous serons toujours là pour défendre une Tunisie moderne, prospère et modérée», a assuré, pour sa part, Maya Jribi, secrétaire générale de ce parti (la première femme à diriger un parti en Tunisie). Une belle leçon donnée par des démocrates qui acceptent les règles du jeu. Les militants du PDP (ex-Rassemblement socialiste progressiste, RSP) sont connus pour être de farouches opposants à la dictature de Zine Al Ebidine Ben Ali. Pendant longtemps, ils étaient plus visibles que les militants d'Ennahda de Rached Ghannouchi. A deux reprises, Ahmed Nejib Chebbi a tenté de se présenter aux élections présidentielles pour essayer de casser «la présidence à vie». Et, à deux reprises, il a été forcé à se retirer par la machine à propagande de Carthage. La position du PDP prouve que les Tunisiens sont convaincus de la nécessité de poursuivre le processus démocratique et d'éviter de tomber dans le piège des clivages, «conservateurs/modernistes», «islamistes/laïcs» et autres «divisions» qui peuvent profiter aux rentiers de l'ancien régime. A gauche, «le pôle démocratique», mené par les anciens communistes d'Ettajdid, le discours est presque le même, à savoir poursuivre le combat démocratique pour «une Tunisie moderniste et plurielle». Ettakatol de Mustapha Benjaffar, qui serait troisième, selon les résultats partiels du vote, est déterminé à poursuivre l'action politique pour la modernisation de la société tunisienne et pour éviter une bipolarisation de la vie politique. La crainte de l'émergence d'un néo-RCD (ex-parti du pouvoir de Ben Ali) sous d'autres couleurs, d'autres discours ou d'autres promesses fait qu'Ettakatol milite pour la formation d'un gouvernement «d'intérêt national» en vue de préparer «la IIe République», celle qui naîtra après l'élaboration de la nouvelle Constitution de la Tunisie. Il s'agira aussi de réduire l'émiettement de la scène politique tunisienne (plus de 100 partis ont participé au vote). Autre opposant connu de la dictature de Ben Ali, Moncef Merzouki, qui a subi dans sa chair les persécutions policières du régime déchu, préfère voir plus loin, vers les élections présidentielles. Le leader du Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste) estime que le processus de transition pacifique doit aller jusqu'au bout pour faire sortir définitivement la Tunisie des zones de turbulences.Pour ce faire, il est, selon lui, nécessaire, voire vital, d'aller en rangs serrés. Le CPR serait le deuxième grand vainqueur des élections de dimanche. Une alliance avec Ennahda, arrivé en tête des suffrages, n'est pas à écarter pour mener le prochain gouvernement de transition. L'homme d'affaires, El Hachemi Haamdi, propriétaire de la chaîne de télévision Al Mostakilla (basée à Londres), pourrait jouer, lui aussi, un grand rôle dans la configuration politique de la Tunisie de l'après-Ben Ali. Sa liste, «Pétition pour la justice et le développement», a créé la surprise en décrochant au moins 5 sièges dans la future Assemblée. La présence massive des Tunisiens au vote du 23 octobre 2011, le premier scrutin libre depuis l'indépendance du pays en 1956, est une autre preuve de cette volonté de briser le cou, une fois pour toutes, à un système qui a étouffé les libertés politiques et les expressions identitaires. «Le peuple tunisien a su prolonger le formidable élan démocratique du Printemps arabe en organisant un processus électoral crédible et transparent», a déclaré, hier à Tunis, Michael Gahler, le chef de la mission d'observation électorale de l'Union européenne (UE), repris par les agences de presse. Le chef de la délégation d'observation du Parlement européen, Gabriel Albertini, est allé dans le même sens en disant qu'il appartient aux Tunisiens de construire de nouvelles institutions démocratiques. A Alger, capitale d'un pays voisin de la Tunisie, le silence est de rigueur… Rien n'a été dit officiellement sur la réussite manifeste des élections tunisiennes.