Les dernières 72 heures ont été marquées par une agitation sourde chez les partis classés en tête, pour dégager des noms ministrables. Dans les chaumières politisées, en tout cas, le débat est engagé autour de l'identité du futur Exécutif. Gouvernement de technocrates ou gouvernement d'union nationale ? Les avis sont partagés dans la rue tunisienne mais pas aux QG des partis qui viennent de remporter les élections. Tunis (Tunisie). De notre envoyé spécial
Le nom de Mohamed Kamel Nabli, l'actuel gouverneur de la Banque tunisienne, ou encore celui de Béji Caïd Essebsi, qui serait reconduit à son poste de Premier ministre, sont les plus cités par les partisans d'un Exécutif neutre. Mais les choses vont très vite chez les gagnants. Au niveau d'Ennahda, on ne l'entend pas de cette oreille. Son leader, Rached Ghannouchi, a même pris l'initiative d'annoncer, hier, sa décision de placer son secrétaire général, Hamadi Jebali, à la tête du gouvernement, puisque sa victoire confortable le lui permet. Jebali, journaliste et éditeur du quotidien Al Fajr, proche d'Ennahda, emprisonné par Ben Ali pour ses opinions avant d'être libéré en 2006, a confirmé ces intentions mardi soir sur les ondes d'une radio locale. Même si les urnes lui donnent ce pouvoir, le parti islamiste a compris qu'il ne pourra pas gouverner seul le destin d'une société tunisienne culturellement sécularisée. D'ailleurs, le parti de Ghannouchi a multiplié les interventions pour rassurer sur ses intentions. Hier, son responsable des relations extérieures, Samir Dilou, a fait le déplacement au centre de presse pour répondre longuement aux questions des journalistes. Ghannouchi souffle le chaud et le froid A une question sur la déclaration d'Alain Juppé qui a dit que les aides européennes à la Tunisie seront conditionnées par les garanties de la démocratie, Dilou a répondu simplement que M. Juppé avait raison, suggérant que le parti est prêt à fournir ces assurances. Ennahda a mis donc le cap sur un gouvernement d'union nationale. Il prévoit même, selon Hamadi Jebali, de soutenir la candidature de Béji Caïd Essebsi, Mustapha Ben Jaâfar (Ettakatol) ou de Moncef Marzouki (Congrès pour la République, CPR), au poste de président de la République. D'autres noms, tels Ahmed Ben Salah, Ahmed Mestiri, Mustapha Filali, circulent aussi pour faire partie du prochain gouvernement, en plus d'autres membres du gouvernement de transition, qu'Ennahda estime compétents, à l'instar de Tayeb Bekkouche, ministre de l'Education. Hormis, la Pétition populaire (PP) et son meneur Hachemi Hamedi à qui Ghannouchi tourne le dos pour des raisons de divergence historique, Ennahda a établi des liens avec des partis comme Ettakatol et le CPR, bien avant les élections. Moncef Marzouki, militant des droits de l'homme, n'a pas hésité à pactiser avec Ennahda dès son retour d'exil. Il est même allé accueillir Ghannouchi lors de son arrivée à l'aéroport. Ceci lui a valu l'inimitié des démocrates tunisiens qui voient mal ce rapprochement entre un parti de gauche et les islamistes. Marzouki, lui, n'a pas cessé de répéter que la transition exige l'union de toutes les forces quel que soit le courant. Hier encore, lors d'une conférence de presse tenue au siège du CPR au centre de Tunis, Marzouki est revenu sur ce sujet, précisant que son parti est moderniste tout en étant attaché aux valeurs identitaires. Une conviction qu'il dit refuser cependant d'en faire un point de discorde avec les autres et en tout cas, qui doit être, selon lui, éloignée des débats politiques. A son retour en Tunisie en janvier dernier, Marzouki s'est déclaré très intéressé par la présidence, idée qu'il a abandonnée dans son discours de campagne, contrairement à Mustapha Ben Jaâfar qui, lui, est le plus présidentiable. C'est compter sans l'influence des Etats-Unis et de l'Union européenne, notamment la France, qui préfèrent garder l'actuel Premier ministre, Béji Caïd Essebsi.