Chemini Abdelkader alias Shamy, du groupe kabyle de pop-rock Abranis, 61 ans, est un boulimique. Il est documentariste, auteur prolixe, conteur pour enfants... Interview Baghdad café ! Vous venez de participer au Festival du film amazigh qui vient de se tenir à Ghardaïa et où vous avez présenté un documentaire politiquement incorrect sur les événements de Kabylie en 2001... C'est un film documentaire plutôt contestataire que j'ai coréalisé et cofinancé avec Nadia Dallel, une Franco-Marocaine. On a essayé d'être le plus objectif possible par rapport aux événements qui ont secoué la Kabylie. On a sillonné la Kabylie caméra à l'épaule. Toutes les figures emblématiques ne sont pas dans le documentaire. On a voulu tendre le micro et donner la parole à ce qu'on appelle la révolte profonde. Je n'ai jamais adhéré à un parti politique quelconque ou autre association. J'essaie de porter un regard ou une vision la plus lucide possible sur les miens. Que ressort-il de ce témoignage filmique ? En premier lieu, c'est le mal-vivre, l'incompétence des partis politiques d'opposition, le chômage, l'échec scolaire et surtout la misère. Toute cette jeunesse en pleine révolte, c'est la misère qui les pousse à faire n'importe quoi. C'est un suicide en quelque sorte. D'ailleurs, après l'accalmie, le taux de suicide en Kabylie culmine. C'est une jeunesse maghrébine qui se sent délaissée. Victime de racisme et d'ostracisme, en Europe, et incomprise, ici, par la famille et le système. Elle ne se retrouve pas finalement. Les jeunes veulent vivre comme ceux du monde entier. La dernière fois, vous m'avez dit que votre documentaire est l'objet d'une censure... Le paradoxe fait que je suis censuré en France. Mais encore... Par exemple, en France, j'ai proposé mon documentaire à Canal+, ARTE et à toutes les télévisions. On m'a indiqué que ‘'votre documentaire est extraordinaire mais on ne peut pas le diffuser''. J'ai dit : ‘'Pourquoi ?'' On m'a répondu qu' ‘'on ne voulait pas avoir de problèmes avec le pouvoir algérien''. Mais, on Algérie mon film n'est pas censuré. J'ai eu l'occasion de constater cela. Il a été projeté dans des universités (Bastos, Boukhalfa), à la Maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et il a été programmé officiellement à la 3e édition du festival du film amazigh à Ghardaïa. A la dernière minute du lancement du festival, je n'y croyait pas. Cela prouve qu'ici (Algérie), j'ai plus de liberté qu'en France. Je dénonce ce qui ne me semble pas bon. Mais on ne peut pas me reprocher ma contribution à la construction de mon pays. Shamy est aussi fondateur du groupe mythique de pop-rock kabyle Abranis... Abranis, c'est quelque chose de joyeux et d'extraordinaire. C'est l'histoire de l'Algérie indépendante qui avance. On était sûrs d'aller vers des jours meilleurs. C'était les Beatles, les Rolling Stones, la Chaîne III... Shamy est avant tout un écrivain. Comment vous est venue cette trajectoire cursive ? L'idée d'écrire est venue du grand auteur algérien Kateb Yacine. Un jour, il était venu assister à notre spectacle (Abranis) à la salle Atlas. Il m'a di : ‘'Toi, au lieu de parler tu ferais mieux d'écrire.' Sincèrement, je suis sérieux, tu peux y aller, tu peux me faire confiance. Moi aussi, je suis autodidacte comme toi. Je me reconnais en toi quand j'étais petit.'' Votre actualité... Je vient d'éditer une série audio (CD) pour enfants. Il s'agit d'une dizaine de contes. C'est un devoir de mémoire de mes grands-parents, de ma famille, la tribu. Ce sont des contes qu'on m'a appris quand j'étais enfant. Plus de 150 contes que j'avais déjà appris à l'âge de 15 ans. Ainsi qu'un roman intitulé La fiancée du soleil qui vient de paraître aux éditions L'Odyssée. Vous êtes un boulimique... Oui, absolument ! Je suis boulimique. Il faut qu'on pose et impose notre mémoire, histoire, création au service de l'Afrique. Sinon, ils (les colons) vont revenir.