Une affaire de pédophilie de plus ? Des pensionnaires du Foyer pour enfants assistés de Békaria, à Tébessa, accusent leur directeur d'actes d'intimidation, de châtiment corporel et d'abus sexuels. Une enquête est en cours. El Watan Week-end a tenté de recoller les pièces du puzzle. «Moi F. N., pensionnaire au Foyer pour enfants assistés, j'ai été convoqué à plusieurs reprises dans le bureau de mon directeur. Lorsque je me retrouve seul avec lui, il ferme la porte du bureau et me fait des choses “que je n'aime pas“. Il m'intimide, m'insulte et me demande de le toucher, sinon, il me tabasse et me frappe à la tête avec un trousseau de clés. Un jour, il m'a emmené avec un autre enfant chez lui, où nous avons passé toute la nuit, en l'absence de sa famille. Au retour, il nous a menacés de nous tuer si on s'aventurait à raconter à quelqu'un ce qui s'était passé…». Ceci est l'un des témoignages écrits par un résident du Foyer pour enfants assistés (FEA) de Békaria, à 15 km à l'est du chef-lieu de la wilaya de Tébessa. Ce centre accueille quarante résidents, âgés de 6 à 19 ans. En plus du rapport du psychologue, quatre documents en notre possession parmi ceux déposés avec une plainte, relatent des «histoires» qui donnent froid dans le dos. Ils font état des pires épreuves que puisse subir un enfant : intimidation, châtiment corporel, agression et… viol. L'affaire du FEA de la commune de Békaria remonte à l'été dernier, lorsque des enfants et adolescents du foyer se confient à la directrice de l'action sociale (DAS) de la commune, qui occupe un logement de fonction au FEA. Le directeur intérimaire, M. D., est alors immédiatement suspendu, le 26 juillet, par la DAS. Loin de leur «bourreau», les enfants ont écrit des lettres avec signature et empreintes digitales sur chacun des documents, afin de décrire les agissements de leur ancien directeur. «Ennemi numéro un» Basée sur leurs témoignages et un rapport du psychologue du foyer, une plainte est ensuite déposée par le personnel de l'établissement, appuyée par celle de la DAS, auprès du procureur de la République de Tébessa. Selon une source proche du dossier qui requiert l'anonymat pour des raisons de sécurité, «le foyer a connu un scénario similaire en 2008, impliquant B. A., ex-DAS, et M. D. L'ex-DAS fut affecté à la wilaya d'El Bayadh, sans que M. D. ne soit inquiété.» Une commission d'enquête aurait été dépêchée par le ministère de la Solidarité. A ce jour, cette affaire d'agressions sexuelles n'a connu aucun rebondissement, hormis l'affectation du DAS. Trois années plus tard, M. D., 41 ans, économe à l'administration et intérimaire du directeur du FEA depuis 2009, est «l'ennemi numéro un des enfants du FEA» s'il l'on se réfère aux déclarations des enfants et au rapport des psychologues. «Je vous demande de faire en sorte que nous ne le croisions plus sur notre chemin. Il a brisé notre vie», implore un adolescent. Quant au rapport du psychologue, il met la lumière sur un cas jugé extrêmement délicat. Après avoir été abusé sexuellement, injurié et traumatisé, selon les termes utilisés, «K. L., 16 ans, a reçu des menaces le 10 août de la part de M. D. et un de ses complices, D. A., fonctionnaire au FEA. Accompagné de D. A., le jeune garçon a été conduit dans un hangar qui fait office de dépôt pour le trafic de carburant, dans le quartier “l'autoconstruction“. Arrivé sur les lieux, M. D. les attendait. Il somme K. L. de retirer sa plainte. Sous la menace, le jeune pensionnaire repart avec le complice de M. D. au siège de l'Association de la promotion du citoyen. Le “complice“ de l'ex-directeur du FEA sollicite, alors, le président de l'association pour intervenir dans cette affaire et dénoncer la manipulation dont ferait l'objet le pensionnaire victime», peut-on lire sur le rapport du psychologue. «Cabale» Le choix des deux hommes n'est pas fortuit, selon notre source. «M. D. et son complice D. A. exerçaient des pressions depuis des semaines sur K. L., en le menaçant et en l'incitant à créer des problèmes avec les éducateurs du FEA, car il portait des traces de l'agression sexuelle, preuve tangible de l'accusation», précise notre interlocuteur. Aujourd'hui, K. L. demeure loin du FEA après avoir été placé dans un endroit inconnu afin de le mettre «hors du danger». Dans cette affaire, les enfants ne seraient pas les seules victimes de l'ex-directeur du foyer. Un agent contractuel, ex-pensionnaire du foyer, aurait subi le même sort à l'âge de 17 ans. Ce n'est qu'après l'éclatement de l'affaire que l'agent dénonce son «bourreau», à l'âge de 25 ans, confirmant ainsi les déclarations des autres victimes. Contacté afin de recueillir sa version des faits sur cette série d'accusations à son encontre, l'accusé nie tout en bloc. Cette campagne montée contre lui serait «l'œuvre de la directrice de l'action sociale et quelques employés du FEA qui aspirent à le faire déchoir de son poste de directeur intérimaire», se défend-il. Et d'argumenter : «Avant ma suspension, j'avais accompagné quelques pensionnaires du foyer à Annaba, en colonie de vacances. A mon retour, j'ai appris qu'un adolescent de 14 ans s'est fait brûler en essayant de tuer un serpent trouvé dans la cour de l'établissement. Un éducateur fut suspendu pour non-assistance à personne en danger. Depuis, tout le monde s'acharne contre moi, car l'éducateur a un lien de parenté avec le secrétaire général du syndicat de la DAS», accuse l'ex-directeur intérimaire du FEA. La «cabale» ne s'arrête pas là, selon M. D., puisqu'une pétition aurait été signée contre lui pour réclamer son licenciement. Contactée, la directrice de l'action sociale n'a pas voulu nous parler sans l'aval du ministère de la Solidarité qui, à son tour, a refusé de répondre à notre demande. Selon notre source, le ministère n'a pas jugé important de mettre en place une commission d'enquête sur cette histoire sans précédent. Du côté des services de sécurité, la gendarmerie a entamé l'interrogation des témoins ainsi que de M. D., en attendant que l'affaire soit transférée à la justice.