À trente-deux ans, Salah (appelons-le ainsi) n'arrive toujours pas à avoir une vie stable, malgré ses diplômes et sa petite fortune. Enfant de parents divorcés, il se retrouve pris en charge par ses grands-parents. Issu d'une famille riche de l'Est algérien, il n'a manqué de rien, sauf d'amour, d'affection et de protection parentale contre tous types d'abus. Il avait quatre ans lorsque son père obtient sa garde. Il le dépose chez ses grands-parents paternels et disparaît. Son père s'est refait une nouvelle vie, ignorant totalement les souffrances de son petit. Leur seul lien : un compte bancaire où il lui verse régulièrement de l'argent, jusqu'à présent. “Je suis victime d'une famille frustrée. J'ai eu des attouchements sexuels perpétués par ma tante dès l'âge de quatre ans jusqu'à mes six ans. Ma grand-mère était un bout de douceur, mais elle était trop âgée pour remarquer le comportement bizarre de sa fille. Je ne comprenais rien à cet âge-là”, culpabilise-t-il. Et d'ajouter : “Mes copains se sont moqués de moi, à l'école, lorsque je leur ai dit que je partageais le lit avec ma tante, sachant que nous vivions dans une grande maison.” Ayant eu vent de ces moqueries, la maîtresse d'école a convoqué la tante du petit pour des explications. “Bien entendu, ma tante s'est arrangée pour trouver un argument qui tient la route. Après cet entretien, ma tante ne m'a plus jamais tenu la main ni adressé la parole jusqu'à présent”, relate Salah. Quelques années après, le sort s'acharne sur lui, et c'est au tour de son oncle, âgé de 35 ans, d'abuser de lui, il avait 11 ans. “Il ne se passe pas une journée où je ne pense pas à ce maudit jour. Je me rappelle de tous les détails ; c'était durant le mois de mai, il faisait très chaud. Je me souviens, également, même de la couleur de ses vêtements, de ses paroles et de sa main sur ma bouche pour m'empêcher de crier. J'ai tenté de me débattre, mais il était beaucoup plus fort que moi. J'ai encaissé le coup en silence.” Ces révélations insoutenables font couler des larmes qu'il impute à une allergie à la climatisation. Il profite des vacances scolaires pour aller passer quelques jours chez une autre tante qui habite sur la côte. “Un jour, j'ai raconté à ma tante ce que son frère (mon oncle) m'a fait subir. Elle m'a fait promettre de ne plus répéter ce que je venais de lui raconter et qu'elle se chargerait de lui. Effectivement, à la fin des vacances, mon oncle s'est marié et il s'est installé ailleurs”, raconte-t-il. Pour se sortir de ses cogitations nocturnes qui hantent sa vie, Salah s'est défoulé dans les études jusqu'au bac. Il s'inscrit à l'université d'Alger où il décroche son diplôme en architecture. “Cette histoire remonte à 21 ans, mais je n'arrive toujours pas à tourner la page, même avec une psychothérapie. J'ai des sautes d'humeur, je n'ai jamais été stable dans mon travail ni dans mes relations amoureuses. Je ne dors jamais sans somnifères. Il y a ce sentiment de culpabilité qui me ronge de l'intérieur”, raconte-t-il. À trente-deux ans, Salah a décidé de refaire sa vie au Canada. Son départ est prévu pour début septembre. “J'ai droit au bonheur, je repars à zéro, dans un nouveau pays, une nouvelle société, une nouvelle vie. Et peut-être là-bas je pourrais me stabiliser et fonder un foyer, car je sais qu'au Canada, les enfants sont réellement protégés et les pédophiles sont passibles de lourdes peines de prison”, espère-t-il. N. A.