Malgré la multiplication, ces derniers jours, d'appels en faveur d'un arrêt immédiat des violences et de l'instauration d'un dialogue sans exclusive entre le régime de Damas et l'opposition, il est néanmoins peu probable que la grave crise, qui secoue la Syrie depuis huit mois, connaisse un règlement pacifique. Au contraire, le «printemps syrien» semble avoir atteint un point de non-retour depuis la constitution d'une «armée syrienne libre» (ASL). Dirigée par Ryad Al Assad, un colonel déserteur réfugié en Turquie, l'ASL a d'ailleurs revendiqué, hier, l'attaque contre le QG des Comités locaux de coordination (services secrets syriens) se trouvant à Damas. L'ASL, fondée au mois de juillet dernier, a déclaré en outre avoir mené des opérations ayant fait plusieurs morts et blessés parmi les forces du régime, notamment dans la province d'Idleb (nord-ouest) et dans la ville de Homs (centre) et sa région et dans la province de Deraa (sud), berceau de la contestation. Ce n'est pas tout. Il s'avère également que la Brigade des officiers libres, fondée par le lieutenant-colonel Hussein Harmouche, s'est jointe fin août à l'ASL. Elle compterait environ 17 000 militaires. Le lieutenant-colonel Harmouche a été le premier officier de l'armée à annoncer, début juin, sa désertion pour protester contre la répression. Preuve sans doute que l'opposition syrienne se situe dans une logique frontale, l'ASL vient aussi d'annoncer, à travers un communiqué, la création d'un conseil militaire provisoire qui ne cèdera ses prérogatives que lors de «l'élection d'un gouvernement démocratique». Cette structure aura pour mission, est-il précisé, de veiller à la mise en œuvre des «objectifs de l'ASL, c'est-à-dire faire tomber le régime actuel, protéger les biens publics et privés et empêcher l'anarchie dès la chute du régime ainsi que tout acte de vengeance». Chargé des opérations militaires et du maintien de la sécurité, ce conseil œuvrera également à organiser, armer et entraîner l'ASL. Le régime syrien va le payer cher Il est aisé de constater que tous les ingrédients sont désormais réunis pour une «libanisation» de la crise syrienne. Le risque de l'éclatement d'une guerre civile est d'autant plus grand dans la mesure où Bachar Al Assad continue de bénéficier du soutien d'une partie de la population, ainsi que le montrent d'ailleurs les manifestations pro-régime qui se sont déroulées, hier, dans Damas. L'usage du vocable «libanisation» n'est pas exagéré lorsqu'on sait que la Syrie présente, tout comme le Liban, une diversité ethnique et religieuse pour le moins complexe. Et pour le moment, tout laisse croire que les intérêts de tous ces groupes ethniques et religieux ne vont pas dans le même sens. L'aggravation de la crise paraît donc inéluctable, même si le couple Ligue arabe-Turquie – qui était hier à Rabat en réunion extraordinaire – s'est prononcé contre «toute intervention étrangère en Syrie» et «a insisté sur l'importance de la stabilité et l'unité de la Syrie et la nécessité de trouver un règlement à la crise». Avec la nouvelle tournure prise par le dossier syrien, le régime de Bachar Al Assad risque l'isolement total. Cela est d'autant plus vrai depuis que ses partisans ont commencé à s'en prendre aux ambassades étrangères, dont celles de Turquie et de Jordanie, deux pays jadis alliés, qui ont promis que Damas allait «payer cher» ce geste d'hostilité. Pour corser l'addition, Ankara, qui avait menacé mardi de suspendre ses exportations d'électricité en direction de la Syrie, n'exclut pas, dans l'absolu, l'idée d'une intervention internationale sous une forme ou une autre. C'est, en tout cas, ainsi qu'il faut saisir la demande des Turcs, soutenus en cela par les Arabes, de prendre des «mesures urgentes pour protéger les civils» de la répression. L'annonce fera certainement plaisir à l'opposition syrienne, qui insiste beaucoup pour que soit créé un sanctuaire à la frontière syro-turque. Outre la mauvaise nouvelle pour Damas qui a appris, mardi, que la Russie avait commencé à nouer un dialogue avec son opposition, la France a annoncé, hier, le rappel de son ambassadeur en Syrie ; une décision qui rompt une partie de son lien officiel avec la Syrie. Cette position accompagne celle déjà adoptée par les Etats-Unis et plusieurs pays arabes. Face à une telle situation, il semble bien que le régime de Damas n'a plus que deux choix possibles : ou bien il capitule, ou alors il décide d'entraîner toute la région dans un chaos généralisé.