- La demande dans la formation professionnelle a connu une baisse par rapport aux années précédentes. Y a-t-il un manque d'intérêt des jeunes pour les métiers manuels ? Quelles en sont les raisons ? Le malaise dans la formation professionnelle (secteur public notamment) est devenu chronique ces dernières années. Ce malaise est le produit d'un mythe et non de la réalité observée. En effet, lorsqu'on regarde les données globales de l'enquête «emploi» de l'ONS (2010), on constate que le «taux d'emploi» des diplômés de la formation professionnelle (tout âge confondu et ensemble des secteurs – public et privé) est le plus élevé – soit 63,1% en moyenne nationale avec un taux encore plus important pour les hommes (80%) mais assez faible pour les femmes (30%). Le taux d'emploi des diplômés de l'enseignement supérieur est de 60%, tandis que celui des personnes «sans aucun diplôme» est seulement de 34%. De même, la même enquête donne un taux de chômage des diplômés de la formation professionnelle nettement plus bas (12,5%) que celui des diplômés de l'enseignement supérieur (21,4%). Maintenant, si on parle des «jeunes», la question prend un autre sens. La désaffection des jeunes à l'égard des métiers manuels est universelle. Partout dans le monde, les jeunes développent de nouvelles attitudes, ou mieux, une nouvelle valeur travail. Les raisons sont multiples et complexes de cette désaffection. D'abord, ils/elles sont plus instruit(e)s que les anciennes générations. De même, la recherche d'un emploi convenable, pour ne pas dire «décent», est légitimée socialement. Enfin, il y a une certaine «désidentification» avec les métiers 3D (dégoûtants, dangereux et dégradants) qui n'ont pas évolué encore chez nous. Ces métiers sont toujours prisés par les «travailleurs migrants en situation irrégulière». - Comment expliquer l'attrait des jeunes vers l'informel ?
L'exclusion ou l'auto-exclusion de l'école est un phénomène constant dans tous les systèmes éducatifs et sociaux. Le système limite la poursuite scolaire après un échec. De même, les familles contribuent à l'auto-exclusion pour des raisons diverses. Notre système, largement controversé d'ailleurs, a longtemps pensé que la formation professionnelle devait être le réceptacle des «exclus». Dans l'ensemble, les résultats de l'enquête «emplois» de l'ONS (2010) ont mis en évidence un fait qui est passé presque inaperçu : 25% des jeunes (15-24 ans) ne sont ni sur le marché du travail ni dans le système d'éducation-formation. Ils sont 11% des garçons et 25% des filles. Ces jeunes se placent ainsi dans une situation d'attente. On en saura mieux de cette catégorie si on examine dans quelle catégorie sociale se trouve leur famille. L'attrait vers l'informel n'est pas seulement un fait de la jeunesse. Il me semble actuellement que ce secteur reste très dynamique et dispose d'une force d'attraction très forte pour différentes catégories de travailleurs et d'employeurs. Il faut aussi admettre qu'il existe une certaine légitimation sociale de l'activité informelle, toutes les tentatives de son éradication ou de sa «structuration» n'ont pas produit les résultats escomptés. - Est-ce que le travail a perdu de sa valeur chez les jeunes ? La valeur travail, au sens sociologique du terme, n'a pas perdu de sens mais elle a un sens nouveau. Cette nouvelle valeur est en rupture avec la valeur ancienne. Elle est le produit de la société. Il faut ainsi s'interroger sur cette nouvelle représentation sociale du travail et enlever les lunettes anciennes qui ne sont plus d'actualité. La «dévalorisation du diplôme» (et de l'école d'une manière générale) est un phénomène produit par notre société. Le diplôme et le travail donnaient lieu «antérieurement» à la réussite sociale et au reclassement social. D'une part, on observe que le «travail salarié» durable et permanent est en perte de vitesse. C'est l'emploi salarié «temporaire» qui devient de plus en plus important en Algérie. D'autre part, l'entreprenariat est une valeur nouvelle chez les jeunes, mais elle nécessite encore de l'apprentissage et un environnement positif. Mais cette nouvelle valeur ne peut et ne saurait être généralisée. Le «bizness» serait devenu une valeur sûre qui rapporte plus et vite que le travail formel. Cette notion d'accélération de «gains» semble être partagée par la population juvénile. Le temps est ainsi un facteur-clef pour cette frange de la jeunesse. Nous sommes dans une phase de recomposition sociale importante, telle une lame de fond, la nouvelle valeur du travail, véhiculée par la jeunesse, peut conduire à un changement sociétal profond dans la hiérarchie des valeurs. On ne peut raisonnablement négativiser cette valeur nouvelle. Elle est porteuse d'espoirs, ici comme ailleurs.