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«Bloquer les avoirs des dirigeants algériens est une pure question de volonté politique» Fabrice Marchisio. Avocat français au cabinet Cotty Vivant Marchiso & Lauzeral
-Dans un communiqué publié par le syndicat suisse des services publics, dans lequel il a affiché sa solidarité avec les syndicats algériens victimes d'intimidation et de harcèlement de la part des autorités algériennes, dont une copie a été envoyée au Conseil fédéral de la Suisse, au département fédéral des Affaires étrangères et au département fédéral de Justice et de Police, il est demandé à ces instances de veiller à empêcher le dépôt de fonds de dirigeants algériens dans les banques suisses ou qu'il fassent de sorte à pouvoir bloquer ces fonds. Quelle lecture faites-vous, d'abord à ce sujet, vous qui êtes spécialiste en la matière ? Je trouve qu'il s'agit d'un fait extrêmement intéressant, car cela démontre qu'on n'a jamais parlé autant de la question du gel des avoirs depuis le début 2011, c'est-à-dire depuis les événements qui ont surgi en Tunisie. Ce qui est plus intéressant aussi, c'est le fait que désormais les organes de la société civile, à l'instar du Syndicat suisse des services publics, commencent à se service du gel des avoirs comme un levier pour faire pression dans certains cas, ce qui était rarement usité auparavant. Je crois qu'il s'agit d'une première. C'est un fait à la fois important et rarissime, venant notamment de la part des syndicats suisses qui, comme vous les connaissez, réfléchissent deux fois avant de prendre une décision, mais surtout avant de la rendre publique. Je crois qu'il s'agit d'une réelle nouveauté, mais ce qui est plus curieux, c'est de savoir comment le Conseil fédéral va-t-il répondre à cette demande. Je pense que ce genre d'initiatives va se multiplier dans les prochaines années, parce que c'est un vrai moyen de pression contre les personnes politiquement exposées qu'on soupçonne qu'ils ont des fonds dissimulés dans les paradis fiscaux. -Sur le plan procédural, les autorités suisses peuvent-elle empêcher et/ou geler des avoirs de certains dirigeants sur une simple demande d'un syndicat suisse soucieux de protéger les libertés dans d'autres pays ? Absolument, les autorités suisses peuvent le faire, mais cela dépend d'une réelle volonté politique, car les instruments juridiques existent. Il y a une disposition constitutionnelle en Suisse qui permet au Conseil fédéral de geler les avoirs des personnes physiques et/ou morales.Cette disposition de la Constitution suisse autorise ce genre d'opération lorsqu'il s'agit de sauvegarder les intérêts de la politique extérieure de la Suisse. C'est un article de loi extrêmement large. Il a été utilisé, à titre d'exemple, pour bloquer les avoirs de Mobutu en 1987. -C'est une disposition qui sert dans des cas précis, lorsqu'elle est accompagnée d'une volonté politique, à saisir des fonds. Donc, pour répondre très précisément à votre question, si jamais le Conseil fédéral suisse avait la volonté politique de geler les avoirs des dirigeants algériens dont parle le syndicat suisse, cela est très possible du point de vue juridique et procédural. Et comment cela va-t-il se produire concrètement ? La concrétisation de la procédure est très rapide. Vous vous souvenez lorsqu'il était question de geler les avoirs de certains dirigeants arabes suite aux événements en relation avec le Printemps arabe, les Suisses ont été quasi-systématiquement les premiers à réagir pour la Tunisie, l'Egypte et la Libye. Il a suffi de quelques heures seulement pour que le Conseil fédéral suisse gèle tous les avoirs par simple ordonnance. Pour ce qui est de votre cas, j'imagine que le Conseil fédéral suisse procéderait à faire une petite enquête préliminaire, mais s'il s'avère réellement que des dirigeants algériens ont des fonds à geler en Suisse et qu'il y a une volonté de le faire, car il faut en être sûr, car les répercussions de cette opération sur les relations entre les deux pays peuvent être graves, mais d'un point de vue purement technique, la décision peut être appliquée en quelques heures seulement. -Comment peut-on retrouver cet argent et l'évaluer aussi ? Le Conseil fédéral suisse a tous les éléments en main pour savoir en quelques jours seulement quels sont les fonds détenus par les dirigeants algériens. Ce qui est intéressant dans votre cas, c'est que la Suisse est le premier pays à avoir popularisé en droit la notion du PEP (personnes politiquement exposées). La Suisse était la première à demander aux banques de prendre des mesures draconiennes pour s'assurer que les fonds déposés par des personnes politiquement exposées ne soient pas originaires d'actes de corruption. C'est-à-dire que, concrètement, des ministres, des chefs et des généraux dans l'armée, sont visés par cette disposition. -Avez-vous recensé par le passé des demandes de ce genre ? Pas à ma connaissance pour ce qui est du cas Algérie. Mais qu'un syndicat suisse s'intéresse à cette question, c'est déjà éminemment important et intéressant. Car qu'un syndicat suisse qui, a priori, défend les droits des fonctionnaires, dise considérer que ses homologues algériens sont maltraités et qu'il se sente interpellé n'a, de prime abord, rien à voir avec la problématique des gels des avoirs. Mais ce qui est intéressant tout de même, c'est le fait que cette question soit usitée pour faire pression sur les dirigeants algériens. -Une pétition de certains cadres algériens en Suisse circulait ces derniers jours sur le web appelant au gel des avoirs de dirigeants algériens. Selon vous, une telle procédure a-t-elle des chances d'aboutir ? C'est aussi une pure question de volonté politique. C'est-à-dire que si la Suisse considère politiquement qu'elle doit gérer les avoirs des dirigeants algériens, il est très simple de le faire du point de vue procédural, mais s'il n'y a pas une volonté politique, rien ne se passera. -Le secret bancaire suisse est opposé souvent à la moindre demande d'information sur les comptes et les fonds dissimulés dans les banques suisses, quels pourraient être les moyens susceptibles de contourner la législation helvétique et celles analogues permettant de protéger les fonds détournés ? Le Conseil fédéral a tous les moyens à sa disposition pour savoir qui a déposé quoi, même si, certes, vous avez des personnes qui dissimulent des fonds derrière des trusts, des fondations et des centaines de sociétés-écran. Tout dépend, je vous le disais, d'une réelle volonté politique.