Spécialiste des questions fiscales et doctorante à l'université Paris Dauphine en France, Hayet Bouilef s'apprête actuellement à éditer un important ouvrage sur le système fiscal algérien, intitulé La mobilisation des ressources publiques par la fiscalité ordinaire. Cas pratique de l'Algérie. Dans cet entretien, elle met en avant la nécessité d'approfondir la réforme de la fiscalité en Algérie, en œuvrant surtout à mettre l'outil fiscal local au diapason du contexte économique et social actuel. - Au regard des chiffres de recouvrement des différents impôts et taxes en Algérie, une baisse de l'IRG des salaires peut-elle être envisageable, ou est-elle de nature à impacter réellement le budget de l'Etat ? La proportion de mobilisation des ressources par le biais de l'impôt IRG-salaires n'a aucun impact dangereux sur les finances publiques, notamment dans le contexte actuel où les réserves de change sont assez suffisantes pour pallier immédiatement tout imprévu ou manque. En outre, il n'existe aucune statistique pour informer sur le coût réel de collecte et de gestion de cet impôt ou n'importe quel autre impôt en Algérie. La question de savoir si la gestion de l'IRG-salaire coûte plus cher que ce que mobilise ce même impôt comme recettes reste encore posée. - Quelles motivations empêchent actuellement les pouvoirs publics à répondre favorablement aux revendications du partenaire social quant à réduire l'IRG-salaire ? Les motivations, à mon sens, ne peuvent être que politiques et stratégiques, mais surtout pas techniques. - Comment expliquer le fait que les impôts prélevés à la source soient prépondérants dans la structure des recouvrements fiscaux ? Il convient de souligner que, selon les statistiques fournies, les prélèvements sur l'activité économique et les capitaux représentent 32,1%, or ces impôts sont déclaratifs. Le prélèvement de la fiscalité indirecte, qui est à la source, représente 23%, suivi du prélèvement sur l'IRG-salaires qui représente 16%. Or, la fiscalité indirecte a toujours était prélevée à la source. Elle a toujours était prépondérante dans toutes les structures des prélèvements fiscaux. Cela s'explique évidemment par la forte taxation de la consommation, qui touche toutes les tranches de la société, mais qui lèse notamment les couches sociales modérées et de faibles revenus. Ce mode opératoire assure aux pouvoirs publics, de chaque Etat, la majeure partie de financement public d'une manière stable, sûre et anesthésiante. Le consommateur ni ne conteste, ni ne ressent la taxation au moment de la dépense. - L'assiette fiscale et la répartition de l'impôt, dans son état actuel, garantit-elle une justice fiscale, ou est-elle plutôt vecteur d'incivisme et d'évasion fiscale ? En ce qui concerne la justice fiscale, il convient de constater, sans trop se tromper, qu'elle est déficiente dans le cadre actuel de la mise en place du système fiscal algérien. D'abord, elle est subie surtout par les contribuables recensés, identifiés et immatriculés ; alors qu'il y a prolifération des pratiques frauduleuses de ceux qui exercent dans la sphère de l'économie informelle et qui échappent complètement à toute fiscalisation. L'absence d'étude et d'analyse sur la structure des prélèvements ne permet pas de certifier avec exactitude la répartition équitable, ou pas, de l'assiette fiscale entre les différentes catégories de contribuables, ou entre les différentes natures d'impôts. Cependant, au regard de l'orientation de la fiscalité dérogatoire en Algérie, on peut constater l'effritement de l'assiette fiscale au profit des activités économiques et des capitaux (IBS), et ce, au détriment des revenus de travail (IRG-salaires). La preuve : toutes les catégories de sociétés, d'activités libérales et professionnelles mobilisent 32% des recouvrements, contre 16% pour la seule fiscalité du travail. Par ailleurs, l'élimination des effets de distorsions fiscales et économiques des impôts directs et indirects n'est pas assurée ni sur le plan conceptuel (fiscal) ni sur le plan économique et social. Le remède doit être assuré à travers les politiques publiques sociales. - L'Algérie doit-elle mettre en place aujourd'hui une nouvelle politique fiscale. Que faut-il changer en la matière ? La réforme fiscale, entamée en 1992, a porté certains résultats positifs, comme l'amélioration des procédures déclaratives et la suppression de certaines taxations, telles que le VF. Sur le plan conceptuel, la réforme souffre cependant de certaines lacunes, car elle a été élaborée en dehors d'un cadre de révision globale des choix économiques, d'où la nécessité d'accompagnement de l'outil fiscal et son adaptation à la nouvelle réalité économique de la phase actuelle. En matière d'amélioration, il faut se pencher sur la modernisation des moyens d'assiette et notamment la collecte et le recouvrement des impôts, tels que le télépaiement, le virement automatique, le prélèvement mensuel... Par ailleurs, sur le plan opérationnel, c'est la volonté de mise en œuvre effective qui fait un peu défaut. En matière d'IRG-salaires, la révision du barème doit se faire dans un souci d'adaptation et d'actualisation des bases imposables à la réalité économique et sociale. D'autres difficultés de cohérence du système fiscal algérien sont liées à la problématique traitant de la vérification des données émanant des sources officielles. La non-disponibilité des statistiques, notamment celles relatives aux recettes réalisées, défavorise toute étude rationnelle d'orientation et d'encadrement de l'action administrative et toute intervention de ses services, ainsi que l'optimisation de la gestion fiscale. - L'impôt sur le patrimoine demeure marginal en termes de recouvrements. Comment expliquer cet état de fait ? Par l'absence de volonté politique. Et il en est de même pour la capacité contributive de l'IBS qui demeure très faible, puisque le prélèvement réalisé à partir de cet impôt est inférieur à 3% du PIB hors hydrocarbures.