«On ne juge pas du mérite d'un homme seulement par ses grandes qualités, mais par l'usage qu'il en sait faire.» Un parcours professionnel impressionnant peu connu en raison de la discrétion de son auteur, tellement réservé qu'il frise l'effacement. La timidité de l'homme, légendaire, rime avec simplicité et modestie. Natif de la chaleureuse et hospitalière ville d'El Goléa, au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Brahimi reste sans doute l'une des figures de proue de la société pétrolière Sonatrach, étant l'un de ses plus anciens serviteurs. Il s'est lancé très jeune dans l'odyssée de l'or noir. Du haut de ses 73 ans, il nous décline son curriculum vitae, livrant un itinéraire flamboyant entamé en 1956. Ce mécanicien raté, car il est arrivé dans le domaine du forage presque par pur hasard, alors qu'il espérait suivre les traces de son père graisseur, a fait du chemin pour devenir l'un des foreurs les plus connus à travers le monde, sollicité ici et là pour son expérience et ses compétences reconnues. Il avait 15 ans, et son premier travail comme aide-géologue auprès de la Compagnie des pétroles d'Algérie, filiale de la Shell, consistait à préparer les échantillons pour les spécialistes «mais ses regards envieux étaient constamment rivés vers la sonde qui exerçait en lui un attrait fascinant. Plus d'un demi-siècle après, cet attrait est toujours entier», confie l'un de ses anciens collègues, Charif Ahmari. Brahimi a pleinement réussi, et la réussite n'est-elle pas souvent qu'une revanche sur le bonheur ? Un destin unique Les circonstances de l'époque l'ont grandement aidé. C'était la ruée vers l'or noir nouvellement exploré. Symboles du boom économique dans les années cinquante, les puits pétroliers avaient attiré des milliers de travailleurs courageux, délaissant leur milieu naturel et bravant moult entraves pour rejoindre ces nouveaux eldorados. Ils ont travaillé dur, au péril de leur vie parfois, solitaires, mais toujours solidaires pour former une communauté forte et fière à la fois. Mohamed s'engouffra dans cette voie avec cette ambition de percer dans le métier de foreur. Son supérieur l'encouragea à prendre des cours d'anglais et l'inscrivit à un cycle de formation où l'on dispensait des cours de chimie et de physique. En 1956, il décrocha son premier poste d'ouvrier de plancher. Le soir, il lisait des revues, des manuels et des notices spécialisés. Puis il obtint son premier excellent résultat, le poste de second, puis celui de maître-sondeur de forage. C'était le premier Algérien à se hisser à ce niveau. Son irrésistible ascension ne pouvait s'expliquer seulement par ses connaissances acquises dans le cadre de sa scolarité et le stage de 3 mois effectué en France. C'était plutôt cette part d'intelligence qui a aidé M. Brahimi à accéder à ce niveau de l'échelle, et c'est ce qui a présidé à la décision de ses responsables de l'initier à l'organisation des chantiers de forage. Comme le pétrole ne coule pas de source, on imagine les énormes efforts consentis pour l'extraire de sous terre. Mohamed réussira son pari. Faire aisément ce qui est difficile aux autres, n'est-ce pas là la marque du talent ? En 1957, notre foreur est affecté dans la région de Hassi Messaoud puis dans la région d'Ohanet. Le souvenir vivace est parasité par des images dures, parfois dramatiques. On n'oubliera jamais les gerbes d'étincelles qui s'écrasent sur le visage, les fumées acres respirées malgré soi, la chaleur torride, bref, les pénibles conditions dans lesquelles les foreurs travaillaient. Après avoir suivi un stage de formation en qualité d'élève maître-sondeur à l'Institut français du pétrole, il exerça de 1960 à 1966 en qualité de chef de poste (maître-sondeur) à la compagnie languedocienne des pétroles. Reconnaissance méritée Sa curiosité l'entraîna à se perfectionner dans le forage dont il devint vite l'un des techniciens les plus doués. Il fut détaché auprès de l'équipe de Red Adair entre 1961 et 1962, chargée de maîtriser la grande éruption de l'époque à Gassi Touil, appelée le «briquet du diable». La mission a duré huit mois, jusqu'à la maîtrise totale du sinistre. La flamme atteignait 160 m de haut. Et lorsque Sonatrach vint au monde en 1966, Mohamed n'hésita pas un instant à rejoindre la grande entreprise algérienne qui l'affectera à Hassi Messaoud puis à El Borma. Dans cette dernière station, ils ont dû patienter de longs mois sous une chaleur suffocante dans un décor uniformément plat, avant de voir le premier jet de ce liquide noir tant précieux. En 1962, promu chef de poste, il appréhenda sa nouvelle mission. C'est alors qu'un sage lui susurra à l'oreille qu'il n'en fallait pas beaucoup pour réussir : juste un peu de connaissances, beaucoup de patience et plein de bon sens. En 2002, Mohamed fait partie de la délégation algérienne à un forum en Irak. Il est présenté au ministre irakien du Pétrole comme expert des hydrocarbures avec ses 40 ans d'expérience. Le ministre irakien rétorqua : «Ce monsieur n'est pas expert, c'est un champion.» En fait, Brahimi a été honoré par l'immense Red Adair, le pompier volant qui a émis cette sentence fort élogieuse, un jour en pleine tourmente, dans ce généreux désert algérien : «Je suis le Brahimi américain lui Brahimi, c'est le Red Adair algérien.» Son temps libre, Mohamed le consacrait à la maîtrise de l'anglais : «Un géologue hollandais, me voyant attiré par tout ce qui était écrit dans la langue de Shakespeare, m'a donné plus que des rudiments dans cette langue. Cette langue me passionnait à telle enseigne que je déchiffrais tout ce qui me passait sous le nez, jusqu'aux notices des équipements. J'étais très curieux. Et parce que je parlais anglais, Red Adair me remarqua en novembre 1961 lors de l'éruption de Gassi Touil.» Un exemple de sérieux Brahimi venait de surgir dans le domaine des éruptions de puits de pétrole. Ce gigantesque feu a duré 167 jours. Recruté par Aït Lhoussine en 1966, notre homme a passé sa carrière à éteindre les incendies pétroliers sur les chantiers de forage. En langage de foreur, on appelle cela une éruption, une venue ! Brahimi peut s'enorgueillir d'avoir travaillé aux côtés du spécialiste américain et pionnier, Red Adair, puis il a collaboré avec Richard Hattburgh et Budd. Leurs techniques s'appuient sur l'utilisation des explosifs, des canons à eau, de la boue, des engins de transport avec treuils. En 2004, il prend sa retraite, mais ses connaissances et son expérience sont sollicitées par Red Med. «J'ai assisté à une table-ronde en mai 2010 dans le cadre de l'OTC (Offshore technologie conférence) aux USA. J'ai été consulté pour donner mon avis sur l'éruption survenue sur la plateforme en offshore de BP dans le golfe du Mexique.» Son procédé était d'étouffer le feu par les profondeurs ou le principe des vases communicants. Mohamed avait représenté l'Algérie en tant que consultant chez Red Med. Bien que globalement satisfait de son parcours, Mohamed a un regret, celui de n'avoir pas eu la chance de monter un puits-école à l'ENTP – le projet a failli être lancé sur une ancienne plateforme qui devait servir de lieu de simulation. L'encadrement existant à loisir, M. Achek, qui s'occupait déjà de la prévention des éruptions, était dans le programme. Cette idée a germé lors d'une visite d'un centre de simulation en Italie près de Milan. «C'est un puits de valeurs humaines, son immense bonté n'a d'égale que sa profonde modestie. Rieur, plaisantin, humain, il a toujours un mot réconfortant pour les autres», témoigne Abdeslam Benmesbah qui l'avait connu déjà en 1972. «Vif d'esprit, Mohamed avait toujours une solution pour décoincer l'outil et relancer la mécanique. Personnellement, j'ai beaucoup appris à ses côtés. Non seulement, c'était le doyen, mais c'était pratiquement un père pour nous, un homme exemplaire, que ce soit dans le travail, dans la discipline ou dans la conduite de tous les jours. Je me souviens de sa mission à Nezla à quelque 130 km de Hassi Messaoud, où il est parti avec MM. Djenane et Ghelghoum. Ils ont préparé un programme pour maîtriser un immense incendie – le risque était grand et le danger omniprésent – Mohamed a eu plusieurs missions de ce genre. Toujours couronnées de succès.» On s'imagine les flammes dantesques qui jaillissent dans la nuit illuminant l'horizon. Le feu est partout, le risque est incalculable. Et Brahimi, qui n'a pas les moyens des Américains ni leur lourde logistique, se débrouille toujours grâce à un système D, propre à lui, pour étouffer le feu. Parmi ses idées-force, qu'il s'échine à appliquer sur le terrain, Brahimi nous exhorte «à apprendre à partir des erreurs des autres, car on ne vivra jamais assez longtemps pour les faire soi-même. Les bonnes idées n'ont pas d'âge, elles n'ont que de l'avenir», répète-t-il. C'est le message que Mohamed veut adresser à la jeunesse algérienne qui ne doit compter que sur elle-même pour assurer son avenir. «Il faut surmonter les contraintes liées à la modernité, car les jeunes ont tendance à céder au prêt-à-porter technologique et numérique et négliger l'esprit créatif.» Paroles sages d'un homme qu'il a toujours été.