Malamih (Traits), une pièce mise en scène par Lahcène Chiba avec des étudiantes de Batna, est en compétition officielle au premier Festival culturel national de la production théâtrale féminine de Batna. Annaba De notre envoyé spécial A Batna, elles sont étudiantes en architecture, en sciences vétérinaires, en lettres françaises, en sciences politiques, traduction et communication. Elles aiment le théâtre ; elles se sont regroupées en une troupe, L'espace bleu, encadrées par Lahcène Chiba, comédien au Théâtre régional de Batna et diplômé de l'ex-Institut national des arts dramatiques (INADC), et par la scénographe Assia Boulahrak. Chargé sur le plan idéologique, le texte choisi n'est pas facile : Un cadavre sur le trottoir, du Syrien Saâdallah Wanous. Un texte qui, dans les années 1960, exprimait déjà toute la déception par rapport aux politiques menées par les régimes arabes et dénonçait les causes de la misère humaine. «Nous avons presque prévu les révoltes arabes à travers le choix du texte Un cadavre sur le trottoir en 2010, pour exprimer aussi une certaine colère. La situation n'a pas beaucoup évolué depuis les années 1960, le coût de l'être humain est toujours aussi bas ! Si les choses avaient changé, je n'aurais peut-être pas adapté ce texte», a expliqué Lahcène Chiba. Sans être des habituées des planches, portées seulement par la passion, les filles de la cité universitaire de Hamma de Batna ont appris le texte et joué dans Malamih (Traits),vendredi soir au théâtre régional Azzeddine Medjoubi d'Annaba, dans le cadre du premier Festival culturel national de la production théâtrale féminine. Habillées en noir, quatre filles occupent la scène dans une chorégraphie sinistre. Enveloppées dans du plastique translucide, elles cherchent, à l'aide d'une torche à la lumière blanche, quelque chose de perdu… Prises de panique, elles hurlent à gorge déployée en position verticale. «Mais de quoi avons-nous peur ? Que s'est-il passé ?», s'interrogent-elles. Oui, de quoi a-t-on peur lorsqu'on vit dans la rue livrés au froid ? Le policier. Ici, l'agent de l'ordre, joué par Inès Makhloufi, a du mal à «imposer» l'autorité de la loi qu'il tente de défendre. Il est chancelant. Il est tantôt happé par «les charmes» offerts par une fille, toute de rouge vêtue comme la tentation, et par ce cadavre allongé à côté du Palais. «Le chef nous regarde. Le chef ne doit rien voir», dit ce policier hésitant. Le chef, qui habite peut-être le palais, refuse de voir «les déchets humains» sur sa route. Cela lui rappelle trop ses échecs accumulés au fil de mensonges et de slogans. Que faut-il faire du cadavre ? Le policier propose au SDF, (rôle interprété par Soumia Bounab), compagnon du mort, de l'enterrer au cimetière. Difficile, puisque l'homme sans vie n'a pas de papiers. «Même mort, nous n'avons pas le droit à un enterrement !», se lamente le SDF. Un débat sans fin s'engage entre «le représentant» du pouvoir et l'homme (le citoyen ?) habillé en lambeaux. Une femme fortunée débarque de nulle part et se propose d'acheter le cadavre selon le poids en… viande ! Plus loin, un chien aboie. Il a faim… L'histoire narrée ainsi peut continuer à l'infini. La souffrance humaine n'a pas de limite, comme la cupidité et la soif du pouvoir n'a pas de fond. Les comédiennes en herbe ont su, malgré quelques maladresses, refléter l'esprit dramatique du texte de Saâdallah Wannous. Elles ont, par exemple, dès le début du spectacle, quitté la scène pour «mendier» auprès du public. Manière fine de matérialiser la malvie et la privation, même si l'exercice théâtral en lui-même n'est pas nouveau. La douleur, comme la joie, est souvent communicative. On peut y déceler un peu de Stanislavski dans le jeu réaliste et humain des comédiennes, mais pas trop. Lahcène Chiba a monté la pièce en deux mois, en transmettant autant que faire se peut son savoir académique. Les étudiantes ont adhéré. «Nous rêvons de faire du théâtre plus tard», ont-elles confié lors du débat qui a suivi le spectacle. «Il nous a été un peu difficile de nous adapter à un rôle d'homme, il fallait jouer sur la voix et sur l'expression corporelle. Nous avons relevé le défi», a déclaré Soumia Bounab. Le critique et dramaturge, Bouziane Benachour, a remarqué que les comédiennes et le metteur en scène ont fait preuve d'intelligence en adaptant le texte Wannous au contexte algérien actuel. Il en veut pour preuve le passage relatif au prix de la viande sur le marché.