N'épargnant aucune région, le phénomène de la délinquance prend des proportions alarmantes, dépassant largement le seuil critique, tant et si bien, qu'il a fini par imposer un climat de psychose au grand dam d'une population impuissante et au bord du désespoir ! Qui pourra y mettre le holà ? Plus rien ne semble inaccessible aux malfaiteurs qui se jouent des victimes et même de ceux censés les protéger en recourant avec fantaisie à toute la palette de techniques. Ainsi, le « métier » de bandit est pratiqué sous ses multiples facettes : vol à la tire et à la roulotte, casse, braquage, etc. Sans se formaliser, les malfaiteurs écument à tout vent, agressent au grand jour, violent et tuent sans scrupules. Il n'est plus possible de marcher sans ce réflexe à la limite de la manie, de palper ses poches, pour s'enquérir de son porte-monnaie et quiconque répond à un appel téléphonique se voit immédiatement sanctionné par la subtilisation de son portable manu militari. Ou encore, que des femmes véhiculées soient délestées de leurs bijoux d'ornement à la sauvette, au nez et à la barbe de policiers médusés. Passons sur les véhicules dépouillés, même si l'on stationne pour un achat urgent. Il est devenu impossible de sortir sans la précaution indispensable de laisser un gardien sur place et encore faudra-t-il prier pour éviter les surprises. Les balades en couple, autant dire, qu'elles sont du domaine de l'interdit. Et cela n'est rien devant une maison occupée qui est cambriolée en plein jour sans que personne ne réagisse ! Les malfaiteurs ne s'embarrassent plus de plans d'attaque et tous les moyens sont mis à contribution : cagoule, armes blanches, et plus dissuasive l'arme de poing qui devient un joujou ! Partout, dans les lieux publics, des meutes de malfrats pullulent à l'affût de victimes potentielles, et parfois on assiste pantois à des agressions gratuites. Est-ce à dire que le crime se nourrit d'une mauvaise définition du permis et du défendu au point de les confondre ? Avec les infractions économiques et financières, le terrorisme, les atteintes contre les personnes, les atteintes à la réglementation et l'ordre public, le harcèlement et l'abus sexuel, le chapelet de la délinquance est au complet. Les malfaiteurs ne sont plus dissuadés, ils tutoient le crime de façon stupéfiante et rien ne semble les désarmer, pas même les peines qu'ils pourraient encourir. Il est vrai que le pays n'a jamais été un havre de paix, mais autrefois la marginalité était circonscrite seulement aux endroits réputés dangereux et dans des proportions relativement « naturelles ». Hier, on s'offusquait devant un acte répréhensible et on s'interposait pour venir en aide aux personnes menacées. Aujourd'hui, la situation est à l'insensibilité et à l'indifférence. L'esprit de corps s'estompe, cédant la place à un individualisme éhonté. Autres temps, autres comportements. Même la notion d'infraction, « gravissime », semble définitivement expurgée du lexique de la délinquance ! Il devient impératif de tout remettre en question. A commencer par « la peur du gendarme » censé au moins atténuer l'ampleur de ces fléaux. Faut-il reconsidérer les moyens de lutte contre le banditisme et les adapter en permanence aux différentes situations parce que le représentant de l'ordre public n'est plus qu'un croquemitaine au regard des voyous ? Au plan du droit et notamment la sanction pénale, celle-ci n'a plus valeur de solution magique, car les peines s'avèrent ni neutralisantes ni intimidantes. Une sanction n'est valablement efficace que si elle est utile à la société. Or, ce ne semble pas être le cas et pour preuve, les récidives nombreuses « encouragées » par des grâces à chaque fête légale ou religieuse. D'où un taux effarant de remise en liberté ou à tout le moins de remise de peines ! Pourquoi alors s'étonne-t-on de cette propension au crime ? Pis, les récidivistes provoquent avec désinvolture leur incarcération en hiver en quête du gîte et du couvert au chaud, pour ressortir revigorés en été avec des projets néfastes « élaborés dans le cadre d'un partenariat enrichissant ». Alors que le but de « la privation de liberté » reste le déclic pour une prise de conscience du délinquant. Il en résulte qu'en matière de punition, la répression du banditisme par l'enfermement est inefficace socialement et qu'au contraire, la prison devient pour les jeunes recrues de la marginalité une université où s'enseigne le crime et où les projets criminels post-peine se conçoivent et se planifient. Si les lois existent pour instruire sur les devoirs et les obligations en codifiant simplement la sanction des écarts, cependant elles gagneraient à être sous-tendues par des règles sociales délimitant les objectifs de l'individu en termes d'aspiration. Car les lois qui sont conçues seulement pour réprimer ne produisent plus leur effet. Par conséquent, il serait plus utile de s'interroger sur les causes profondes de la banalisation du crime et d'accorder la primauté à la sociologie de l'individu comme un être social détenteur de droits, sur le droit lui-même qu'il faut nécessairement redimensionner parce qu'il a montré aujourd'hui ses limites. Puisqu'il semble croire que tout est dans la manière dont l'individu doit concevoir et baliser sa propre trajectoire d'évolution, sans transgresser les normes sociales. Mais tout le monde, peut-il le faire sans un regard par-ci sur le voisin et un autre par-là sur le collègue... ? C'est justement à ce niveau que le bât blesse. Le « pourquoi l'autre... ? » et le, « pourquoi pas moi ? » sont devenus les leitmotiv quotidiens d'une forte majorité de citoyens. Cette attitude voit ses racines prendre naissance dans l'ébranlement de l'échelle sociale et professionnelle, et ses corollaires comme l'incompétence qui s'institutionnalise presque, l'opportunisme et le favoritisme qui sont autant de facteurs déclenchants, que la malvie mise en avant de manière récurrente pour expliquer les dysfonctionnements au sein de la société. Où, l'inégalité devant la loi avec cet exemple de remise en liberté provisoire d'une personne qui taillade les bonnes gens, dixit le garde des Sceaux et par ailleurs le maintien en détention provisoire de cadres de l'Etat, lors de la campagne menée tambour battant contre eux, eux qui ont tant donné au pays et qui sont devenus aujourd'hui les pestiférés d'une société rongée par la vindicte populaire ! Et pour combien de cas, sur la base de simples assertions ! Cette campagne orchestrée en 1996 devrait servir d'enseignement, car elle pourrait vraisemblablement expliquer aujourd'hui les dissipations délibérément commises au nom de la rupture de la relation confiance entre l'Etat et ses auxiliaires. Dans un tout autre registre, celui de la réussite sociale des uns qui, au lieu de créer une conjoncture favorable par l'effet d'émulation positive qu'elle est censée engendrer, se transforme en « faire-valoir » à des ambitions démesurées pour d'autres, et partant, c'est la fin qui compte, peu importe les moyens d'y parvenir. Il serait un leurre que d'imputer la délinquance au seul indice de la pauvreté. On vivait bien en deçà du niveau de vie d'aujourd'hui ! Les statistiques montrent d'ailleurs que c'est en période de croissance économique que le taux de crimes et délits est le plus important. Ce n'est pas un paradoxe, car en parallèle les besoins de la société ont évolué et c'est légitime. Il se trouve simplement que cette évolution est brutale et non jugulée par des institutions spécialisées. A l'évidence donc, ce phénomène échappe à la sphère privée, car il n'y a pas a priori un esprit criminel, pour et accessoirement, l'amélioration des conditions d'existence. Les causes de cette déviance sociale, qui met en jeu l'astuce, la fraude et même le détournement de deniers publics, sont en général liées à l'inadéquation des objectifs que les individus se fixent eux-mêmes et les moyens que l'Etat leur donne pour les atteindre légitimement et à égalité de chances. A cela s'ajoute la non-prise en compte de l'évolution « sauvage » des aspirations individuelles. Mais la clé de voûte reste cette rupture du lien naturel entre la société et ses membres. A part dans le M'zab et en Kabylie, où les sages officient selon la coutume et la morale respectivement par le biais de « madjless ami Saïd et la djamaâ », ailleurs, la société civile n'exerce pas son influence modératrice sur les individus. C'est pourquoi la notion de tutelle est inexistante et de même que les repères sociaux sont invisibles. L'Etat pare empiriquement au plus pressé en gérant les événements au coup par coup, et c'est ainsi qu'on s'installe dangereusement dans une situation de dérèglement social. Alors réagissons tous ensemble et à la fois, œuvrons pour convaincre au plus haut niveau de la nécessité urgente de créer un observatoire national contre les fléaux sociaux pour une vie sereine au moins.