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Quand terrorisme et banditisme sévissent en Kabylie
Plus de 60 kidnappings sont enregistrés depuis fin 2005 dans la région
Publié dans Liberté le 14 - 06 - 2010

Le phénomène prend une telle ampleur que beaucoup d'entrepreneurs, une catégorie ciblée en priorité, envisagent de délocaliser leurs entreprises.
Lorsqu'un vieillard de 86 ans fut enlevé par des individus armés durant le début du mois d'avril dernier à Béni Douala, la wilaya de Tizi Ouzou venait d'enregistrer le troisième kidnapping en un mois, soit après H. A. de Boghni, et B. N. de la Nouvelle-Ville, et son 51e selon les services de sécurité, depuis l'apparition, vers la fin de l'année 2005, de ce phénomène que personne dans la région n'imaginait à l'époque toute l'ampleur et les tournures qu'il pouvait prendre. Un phénomène qui n'avait pourtant pas tardé à s'installer dans la durée, au point d'inquiéter terriblement les autorités de wilaya, à leur tête les services de sécurité et surtout les industriels, entrepreneurs, gros commerçants et, depuis quelque temps, même le petit commerçant du coin.
La peur est latente, elle se sent et elle ronge de l'intérieur toutes ces personnes dont les noms sont, quelque peu, associés à la richesse et qui savent - ils ont la quasi-certitude - qu'à n'importe quel virage d'une quelconque route du territoire de la wilaya de Tizi Ouzou, ils pourront en quelques secondes se transformer en un chiffre dans le chapitre kidnappings de la comptabilité des “désarmés” services de sécurité. Ces derniers ne cessent, à la moindre occasion, de renouveler leur promesse de rétablir la sécurité dans la région mais, en même temps, de révéler leur impuissance lorsque l'on est devant un cas concret d'enlèvement.
En effet, hormis le cas d'un gérant d'une station service qui a pu échapper à une tentative de kidnapping grâce à une intervention de la BMPG dans la localité de Drâa Ben Khedda, vers la fin de l'année 2009, jamais les services de sécurité n'ont pu agir à temps pour sauver une victime d'un rapt.
Manque de volonté d'agir chez les services de sécurité ou bien impuissance face à ce phénomène qui se produit assez souvent dans les moments et les endroits les plus improbables ? En ce sens, la gendarmerie, qui a compris qu'elle ne peut agir efficacement à travers ses unités classiques, a décidé depuis l'année 2008 de mettre en place de nouvelles unités spécialisées dans la lutte antiterroriste et la répression du grand banditisme. C'est dans ce cadre que sept sections de sécurité et d'intervention, SSI, sont installées et aussitôt devenues opérationnelles dans les localités de Tizi Ouzou, Tadmaït, Drâa Ben Khedda, Fréha, Aïn El-Hammam, Yakourène et Tigzirt. Les effectifs de ces sections sont, pourtant, hautement entraînés et formés dans la traque des criminels appartenant aux groupes islamistes armés ou aux groupes de banditisme qui sont toujours assez nombreux à travers le territoire de la wilaya de Tizi Ouzou. Ceci dénote que ce n'est, en tout cas, pas la volonté de mettre fin à ce phénomène qui ne cesse de semer la psychose, notamment dans les milieux d'affaires dans la région, mais concernant les enlèvements précisément, “ce n'est pas évident de deviner à quel moment et dans quel endroit un enlèvement peut avoir lieu, et une fois que l'enlèvement se produit, ce n'est pas évident non plus de pouvoir intervenir et libérer l'otage sain et sauf ou même d'être associé par la famille de la victime qui a toujours peur pour sa vie, et aussi peur des représailles”, avancent à chaque fois les services de sécurité.
Ainsi, deux ans après le début des activités de ces unités réputées être aussi efficaces que l'ex- ONRB, l'effet d'annonce de leur implantation en Kabylie a été vite rattrapé par la réalité du terrain. Les enlèvements sont toujours aussi nombreux et les victimes potentielles vivent toujours la peur au ventre.
Des entrepreneurs qui se cachent pour échapper au rapt
à Tizi Ouzou, tout le monde le sait. Si on est entrepreneur, industriel ou commerçant, c'est qu'on est certainement une victime potentielle d'un kidnapping. “à qui le tour à présent”?, se demandent tous ces entrepreneurs qui tentent, tant bien que mal, d'organiser leur propre sécurité. “J'ai réduit mes déplacements et ceux de mes enfants, notamment en dehors du chef-lieu de wilaya, sinon au moins j'évite de le faire durant les mêmes horaires de la journée ou même de la semaine. C'est la seule solution. Il vaut mieux prévenir que guérir”, nous dira un entrepreneur dont le nom est devenu de notoriété publique à Tizi Ouzou mais qui tient, un peu plus qu'à tout, à ce que son nom reste dans l'anonymat. Interrogé au sujet de la demande d'arme formulée par certains entrepreneurs de la région, notre interlocuteur n'y voit là, aucune utilité. “Que peut-on faire même en ayant une arme entre les mains lorsque les auteurs de l'enlèvement sont nombreux et portent des kalachnikovs”, nous répondra sèchement le même entrepreneur qui ne cache, toutefois, pas sa peur en ajoutant cette petite phrase assez significative :
“J'ai peur, et j'ai peur pour ma famille, mais j'essaye de vivre avec, tout en prenant quelques précautions qui s'imposent”.
Ils sont à vrai dire des centaines, voire des milliers à vivre dans cette même situation dans cette région. D'autres encore ont préféré délocaliser leurs activités sinon au moins leurs résidences. Plusieurs propriétaires d'unités industrielles bien connus à Tizi Ouzou, et dont certains ont été déjà touchés directement ou indirectement par le phénomène des kidnappings dans la région, ont décidé de s'installer à Alger ces deux dernières années préférant ainsi confier la gestion de leurs entreprises à de tierces personnes. Pour certains, la délocalisation de leurs activités n'est que la goutte qui a fait déborder le vase de l'étouffement bureaucratique qui menace les entreprises locales. Et il est dans l'ordre économique des choses que des investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon d'une région que des opérateurs locaux fuient à pas de géant. Du coup, c'est évidemment le développement local qui prend un sale coup et le climat d'insécurité et de psychose règne en maître dans la région. Une situation dont les autorités locales, sécuritaires et administratives se contentent d'essayer de minimiser les effets mais face à laquelle, les populations locales, qui ont brillé par leur indifférence depuis l'apparition de ce phénomène en 2005, réagissent de plus en plus de manière aussi spectaculaire qu'héroïque ces six derniers mois.
D'Iflissen à Boghni : de la réappropriation de l'esprit de résistance mais…
éteint, plutôt mis en veilleuse, depuis la promulgation de la charte pour la réconciliation nationale, l'esprit de résistance hérité des Berbères anciens s'est subitement réveillé, début novembre 2009, au village Isenhadjen, dans la région d'Iflissen, lorsque la population locale s'est mobilisée comme un seul homme pour défier le terrorisme armé et réussir, après un ultimatum de 24 heures, à libérer sain et sauf, et sans versement d'une quelconque rançon, un commerçant de la région enlevé par un groupe d'islamistes armés qui n'avait plus de choix que de céder devant la pression populaire. C'est ainsi que le village Issenhadjen est venu rejoindre celui d'Igoujdal dans les annales de la résistance populaire au terrorisme en Kabylie. Six mois après, vers la fin du mois de mars dernier, un autre village, Aït Kouffi, dans la région de Boghni, a réagi de la même manière pour défendre l'honneur du village dont un habitant, H. A, un entrepreneur en retraite, venait d'être enlevé par un groupe armé qui avait exigé de sa famille le paiement d'une rançon de 3 milliards de centimes contre sa libération. Tout comme à Igoujdal et Iflissen, les habitants de Boghni avaient compris qu'ils ne pouvaient plus compter sur l'Etat seulement et qu'ils devaient se prendre en charge eux-mêmes sur le plan sécuritaire comme ça été d'ailleurs toujours le cas dans d'autres domaines pour la population de Kabylie. Sauf que cette fois-ci, le cas d'AIt Kouffi révèle une nouvelle donne jamais connue jusque-là. Au lendemain de la libération saine et sauve et sans paiement de rançon de l'entrepreneur en retraite, Hassani Ali, une enquête a été ouverte par les services de sécurité qui soupçonnent des complicités entre certains membres de la coordination des villages créée au lendemain de cet enlèvement et les groupes terroristes auteurs de cet enlèvement jugé de trop dans la région. Selon les éléments qui ont filtré de cette affaire, des membres de cette coordination des habitants de Boghni auraient eu des contacts suspects avec les ravisseurs. Si les soupçons des services de sécurité venaient à se confirmer, ça serait encore le rôle, dangereusement important, joué par les réseaux de soutien au terrorisme qui serait mis en exergue dans les affaires d'enlèvements à Tizi Ouzou.
La main de l'invisible qui règne partout et nulle part
La précision avec laquelle agissent les groupes armés lors de chaque enlèvement ne laisse, en effet, pas de doute quant à l'existence de réseaux d'information efficaces qui fournissent aux ravisseurs des renseignements qui leur permettent de ne jamais se tromper de cible. Ce sont justement ces yeux invisibles, sorte de Big Brother, qui sont présents partout et nulle part au même temps qui inquiètent au plus haut point tous ces commerçants, entrepreneurs et industriels de cette région où les services de sécurité ont encore beaucoup de pain sur la planche puisqu'ils ont cette lourde, mais très délicate tâche, de mettre fin non seulement aux auteurs de rapts mais surtout à toute cette toile de soutien qui s'est tissée entre le terrorisme, le grand banditisme et le milieu de la petite délinquance. C'est assurément le seul moyen si l'on veut sauver la wilaya de Tizi Ouzou de cette saignée économique et si, aussi, l'on veut délivrer les opérateurs économiques de cette psychose paralysante et arrêter ce phénomène qui finance la trésorerie du terrorisme et les comptes des émirs qui engrangent, chaque année, des dizaines de milliards qu'ils recyclent dans les opérations de blanchiment d'argent.


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