Un jour de ciel vide et d'âme brouillée, de lente dérive, regardant la Loire couler à Orléans au pied du Pont Royal, le désir de laisser enfin remonter à la lumière les images que je portais en moi et ainsi de m'en délivrer, devint une injonction à laquelle je devais répondre sans plus de délai.» Ainsi écrit Armand Vial, artiste-photographe, dans son livre Retour à l'Ailleurs, qui collige photographies et textes poétiques. Cet aveu, comme un secret terrible, trop longtemps tu, jaillit d'une mémoire endolorie, d'un passé, jamais passé, s'accrochant avec entêtement au présent, telles des clameurs aux mille échos qui ne s'éteignent qu'avec la voix. L'auteur quitta très jeune l'Algérie, plus précisément Constantine, -où il est né, et où sont nées plusieurs générations de sa famille maternelle- avec ses parents, instituteurs auprès des «indigènes», en 1960. Bien des années plus tard, il décide enfin d'écouter les appels lancinants que n'a jamais cessé de lui faire parvenir cette terre d'enfance, profondément enfouie en lui, de rassembler enfin les fragments disparates de son moi, qu'un exil forcé a mutilé. Des images précieuses, obsédantes, opiniâtres, patientes, -car sûres de fuser, un jour ou l'autre-, permettent enfin d'apprivoiser la douleur. Des résurgences, plutôt que des réminiscences, des fruits (grenade et figue), des objets de la terre-mère, émergent d'un monde maintenu à l'arrière-plan, rendu proche par une inconsciente mais non moins soigneuse perpétuation; un monde merveilleux, sublimé par l'imaginaire fertile de l'enfance. «Soudain cette nécessité, cette évidence, cette urgence irraisonnée. Photographier la grenade», écrit l'artiste, dont «la mémoire est enfermée dans une grenade», qui en appelle ensuite «à la présence des figues », puis « à tout élément de rebut porteur des matières et des signes de la re-connaissance, petites épiphanies de l'imaginaire». La photographie a donc été l'art exorciseur de ce «Là-bas», de cet «Ailleurs». Il est de retour, l'enfant prodigue, l'âme accrochée à son espace natal, que représentent des photos, en noir et blanc, de femmes algériennes, de natures mortes (poteries, fruits, légumes, objets du terroir), et de textes sublimes; écoutons plutôt: «Non, tu ne laves pas le carrelage, tu danses pour la terre et les fleurs, tu danses pour les abeilles et les oiseaux. Tu dessines des arabesques que toi seule sais déchiffrer. Tu en appelles aux sources secrètes et aux oueds cachés, à la figue mûre qui se fend mollement au soleil ». Retour à l'Ailleurs de Armand Vial, aux éditions l'Harmattan, 2011, 140 pages.