Les exploitations agricoles de la wilaya d'Alger, relevant du domaine public, seront passées au peigne fin par les services de la Gendarmerie nationale. « Une enquête de grande envergure va toucher les 2060 exploitations agricoles individuelles et collectives (EAI et EAC) de la wilaya, qui occupent une superficie totale de 35.513 ha », a déclaré, hier lors d'un point de presse, le lieutenant colonel Mustapha Taïbi, commandant du groupement de la wilaya d'Alger. Résolu à mettre fin à l'anarchie qui règne dans le foncier agricole et dont des pans entiers sont l'objet de spéculation, s'ils ne sont pas inondés par le béton, l'Etat intervient ainsi en force afin de sauver les derniers arpents verts. « Au stade actuel de l'enquête, nos services ont déjà visité 908 EAI et 383 EAC. Quant à la consistance des terres, elle est de l'ordre de 18.414 ha », signale l'officier supérieur, précisant que l'enquête est menée suite aux instructions données par la justice. En effet, les trois procureurs généraux qui ont la compétence judiciaire sur la wilaya d'Alger, à savoir ceux des parquets d'Alger, de Blida et de Boumerdès, ont dûment mandaté ce corps de sécurité afin d'enquêter sur cet épineux dossier. Un dossier figurant parmi les priorités absolues au plus haut niveau de l'Etat, et dont le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, en fait également une question d'importance nationale. « Le dossier de la spéculation et du trafic des terres agricoles, à l'instar de toutes les autres affaires jugées délicates, sera ouvert et instruit par la justice en toute liberté », avait scandé le ministre lors d'une visite effectuée le 17 janvier 2005 à Bouchaoui (20 km au sud-ouest d'Alger). Cette halte ministérielle à l'ex-domaine Borgeaud (puissant colon français dont l'exploitation s'étendait sur des milliers d'hectares au Sahel) était perçue comme un message clair : que tous les barons qui ont fait main-basse sur le domaine doivent rendre des comptes. « Les terres seront rendues à leurs propriétaires légaux : le peuple », avait martelé Tayeb Belaïz. Il faut savoir que depuis que la chancellerie a pris l'affaire à bras-le-corps, la Gendarmerie nationale a transmis à la justice pas moins de 755 procès-verbaux. L'infraction principale est de toute évidence « le détournement des terres de leur vocation initiale ». En effet, des centaines de « transactions » se font de plus en plus jour, au point où les petites annonces de certains journaux n'hésitent pas à leur consacrer des espaces. « Vends EAC à Aïn Taya », « vends EAI à Réghaïa » et tant d'autres annonces de ce type sont devenues monnaie courante. A croire que le bien qui relève du domaine public, dont l'attributaire n'a droit qu'à un bail de jouissance, est devenu subitement une parcelle privée. Autres infractions constatées, les constructions illicites sur les terres agricoles, exercice d'activité commerciale, transgression des conditions légales du désistement (pour les notaires). Les enquêteurs tiennent à noter qu'une grande proportion des EAC et EAI touchées par les enquêtes « préservent leur vocation agricole et où aucune infraction n'a été relevée ». Il faut savoir qu'aucune « transaction » ou changement de main de quelque exploitation que ce soit ne sera possible. L'ensemble du patrimoine agricole de la wilaya d'Alger est désormais sous « contrôle judiciaire ». Une aubaine, commentera un groupe d'exploitants « honnêtes » d'une EAC sise à Sidi Moussa. Ce verger d'une quarantaine d'hectares est parmi les dernières orangeraies de la Mitidja à être sauvé in extremis. La direction de la jeunesse et des sports, sur proposition de la direction des services agricoles de la wilaya d'Alger, l'avait sélectionné, il y a un an, pour abriter... un stade de football.