«C'est par l'art et par l'art seul que nous pouvons réaliser notre perfection, par l'art et par l'art seul que nous pouvons nous défendre des périls sordides de l'existence réelle.» Oscar Wilde Il est, avec le roi Pelé, le plus grand mythe vivant du Brésil. C'est un monstre sacré dont l'architecture aux courbes sensuelles a révolutionné l'art de la construction. Aujourd'hui, à 105 ans, l'artiste continue toujours de rêver à d'autres projets comme lorsqu'il était enfant. «Ma mère m'a raconté, que tout petit, je dessinais dans le ciel, avec mon index. A l'école primaire, j'avais toujours dix sur dix en dessin. En fait, c'est par là que j'ai abordé l'architecture. D'ailleurs, j'ai toujours limité mon labeur à la phase de création…» Sa grande œuvre aura été sans conteste Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil que le président de l'époque, Kubi Tshek (1956-1961), voulait ériger au milieu du désert, sortie de nulle part. «Ce fut une réussite, même si la pression et la course contre la montre ont partiellement écorné le projet», reconnaît l'artiste qui a construit ensuite l'université de Haifa (1964). Après le coup d'Etat militaire de 1964, Oscar est obligé de s'exiler à Paris, en Italie puis en Algérie, où il ne garde que de bons souvenirs. «Un pays formidable où les gens aiment aussi le football, un pays dirigé alors par Boumediène, un beau guerrier». La France ne le laisse pas indifférent. «J'y avais beaucoup d'amis : Sartre, Malraux, Beauvoir, Aragon… J'ai peur d'y retourner. Ils ont tous disparu !» Il sera associé au professeur le Corbusier pour bâtir en 1947 l'actuel siège des Nations unies à New York. Une enfance heureuse Oscar a joué dans sa jeunesse dans le célèbre club de Fluminense de Rio, révélant la passion qu'ont toujours eu ses compatriotes pour le football. Mais, lorsqu'il s'est agi de la construction du mythique stade de Maracana achevé en 1950 à la veille de la Coupe du monde, jouée en pays carioca, Oscar a été écarté parce que son projet ne convenait pas au maître de l'ouvrage. «Ils ne m'ont pas retenu, parce que je voulais rabaisser le terrain alors qu'eux voulaient le suspendre.» Issu de la bonne société, Oscar n'a pas hésité à changer de camp, considérant que les flagrantes inégalités sociales sont inacceptables. Il deviendra communiste, fera la connaissance de Maurice Thorez, alors secrétaire général du PCF et érigera le siège du Parti communiste français, l'une de ses meilleures réalisations. Oscar n'est pas un théoricien, mais un esthète. L'architecture du siège du pc français est une merveille, reconnaissent les puristes. «A ce propos, Georges Pompidou - un vrai réactionnaire - estime-t-il, m'avait glissé à l'oreille au beau milieu des délibérations du jury pour le futur centre Pompidou : ‘‘Leur siège, celui du PCF, c'est bien ce qu'ils ont fait de mieux depuis la guerre !''» Ces propos assassins ne désarçonneront pas notre architecte. Communiste depuis toujours, Oscar campe dans ses convictions politiques. Nul ne pourra lui changer de trajectoire, lui qui aime à répéter que l'architecture ne peut rien changer, mais la vie peut changer l'architecture. C'est lui qui a dit que lorsque la misère grandit, que l'espoir fuit le cœur des hommes, il n'y a plus qu'à espérer un monde meilleur. C'est pourquoi il préconise «un enseignement complété de politique et d'humanisme dans les écoles supérieures d'architecture, parfois de cosmologie, car il est important de regarder le ciel et de se sentir petit.» Oscar hait l'angle droit et… le capitalisme, témoigne l'écrivain progressiste uruguayen Eduardo Galeano «contre le capitalisme, on ne peut pas faire grand-chose mais contre l'angle droit oppresseur de l'espace, seule l'architecture triomphe, libre, sensuelle et légère comme les nuages.» L'écrivain ne s'y est pas trompé, si l'on se réfère aux œuvres de l'artiste, notamment la Coupole de la cité olympique d'Alger, posée là comme un gros œuf et qu'on s'imagine prête à tout moment à prendre son envol telle une soucoupe volante… L'art n'a pas d'opinion, dit-on, mais l'opinion publique, notamment les spécialistes en la matière ont eu des avis partagés sur la conception de l'université de Bab Ezzouar. Les adeptes de l'esthétique et de l'environnement estiment qu'il faut comprendre comment la vie déborde l'art pour mettre dans l'art le plus de vie. Or, pour eux, le projet de Bab Ezzouar est inabouti. «Les néons sont constamment allumés du fait de la faible clarté des lieux. Pour un pays de soleil, c'est un fâcheux contraste. Il n' y a pas assez d'ouvertures sur les façades, c'est lugubre. L'hiver, on y gèle, et l'été on y étouffe. L'architecte a utilisé trop d'espace à l'horizontale où le béton est prédominant. Bref, ce n'est pas du tout un lieu de vie agréable…» Halim Faïdi, architecte, 1er prix Garnier de l'académie française d'architecture, concepteur du MAE algérien et du Mama d'Alger, a rencontré il y a quelques années Oscar à Rio. Le grand maître avait invité l'élève, lui faisant part de sa passion intacte de l'Algérie et de ses innombrables projets à 102 ans ! Le plan de charge n'avait pas l'air de lui faire peur. «Sa voix rocailleuse retentit : ‘‘bienvenue à vous'', dit-il dans un français parfait. Je m'approche gauchement, l'embrasse sur les joues puis sur le front, par reflexe, comme pour marquer le respect que m'impose ma culture du ‘‘cheikh''. Il sourit et me propose un siège près de lui. ‘‘Comment va mon Algérie ?'' me demande-t-il. ‘‘C'est mon deuxième pays, vous savez ? Et je rêve de reprendre le bateau pour revisiter mes amis. J'ai eu des informations concernant un magnifique programme initié par le président Bouteflika. C'est une excellente idée de réunir l'Amérique du Sud et le monde arabe à travers une bibliothèque. Cela va dans le sens du développement du Sud. Mais, j'ai lu le programme qui définit les besoins du projet et il me semble faible''.» Puis, Oscar de plonger dans son incomparable univers de lignes et de courbes. «L'architecture c'est très important, mais la vie c'est plus important. Alors, nous allons parler de la vie». Il nous raconte que tous les mardis, il rencontre un professeur d'astrophysique qui vient lui donner une leçon, puis ils bavardent durant deux ou trois heures. «Nous devons beaucoup lire pour augmenter notre connaissance, dit-il comme un ordre. Il faut s'informer et se documenter, j'ai remarqué que plus j'avance dans la connaissance, et plus je m'aperçois que nous sommes petits.» Dans la discussion étendue, l'Algérie des rêves d'Oscar devient le centre des débats. Un communiste convaincu Il avoue que ces dernières années, quand on lui demandait quel était son plus beau projet, il plaçait l'université de Constantine en tête de liste, puis celle d'Alger. Il dit que le projet n'avait jamais été achevé et qu'il manque tout l'environnement qui devait être le réceptacle des bâtiments et le lieu d'évolution des étudiants. Oscar raconte qu'il avait conçu dans les années 1970 un MAE pour l'Algérie : «J'avais offert l'esquisse, un très beau projet. J'ai aussi dessiné une très belle mosquée à la demande de mon ami Boumediène. Il m'avait demandé de concevoir une mosquée moderne, pour engager l'Islam et l'Algérie dans le troisième millénaire.» Un jour, occupé par un autre projet, Oscar s'endormit sur sa planche à dessin et rêva de la mosquée. Il se réveille en sursaut pour entamer aussitôt l'esquisse. Puis, il appela le président. Quand celui-ci vit les dessins, il s'écria, «Mais tu m'as fait une mosquée révolutionnaire !» Il faut révolutionner la révolution, répondit Oscar, car elle ne s'arrête jamais. Oscar a toujours vécu son travail comme sa façon d'être. Il n'en attend ni consécration, ni approbation, ni gloire, c'est pour lui du superflu, témoigne Lahcene Moussaoui, écrivain, poète, ancien ambassadeur d'Algérie au Brésil, ami de l'architecte à qui il a rédigé la préface de son livre sur Constantine. «Je crois qu'à travers et au-delà de sa personne, Oscar sollicitait un peu sa part d'Algérie, un pays où il a beaucoup réalisé, qu'il a aimé et où il a tissé un très fort réseau d'amitiés en compagnie d'autres camarades brésiliens exilés et en contact avec de nombreux leaders de mouvements de libération dans ce qui était appelé ‘‘La Mecque des révolutionnaires''. Il y a vécu une expérience humaine et politique intense. Dans son amitié comme dans ses œuvres, Oscar est entier. Il ne recherche nul objectif, sauf celui d'être lui-même. Il a ses convictions et sa façon d'être, je m'y suis fait sans difficulté ! J'en sais grâce au destin de m'avoir fait rencontrer ce géant dans lequel j'ai personnellement beaucoup puisé.» A Constantine, en puisant dans la matière, Oscar a défié les lois de la nature avec ces deux palmes de 50 m sans support. Un poète, un rêveur Pour les réaliser, certains ont joué leur carrière à pile ou face, et il a réussi l'exploit «c'est devenu depuis une caractéristique des œuvres d'Oscar ; c'est qu'il a soumis le béton à son inspiration.» Oscar, au tempérament de feu, est aussi un entêté, peu enclin aux feux de la rampe. «Je n'y vais pas. Qu'il vienne ici s'il veut.» C'est Oscar qui parle. Sa fille, Anna, tente de le raisonner en lui expliquant qu'il ne s'agit pas de n'importe quel engagement : «C'est le président papa, tu dois y aller !» Niemeyer ne voit aucune bonne raison d'abandonner la routine de son bureau pour recevoir une médaille. Ceux qui le connaissent savent qu'il hait ce genre de flagornerie. On doit lui remettre l'Ordre du mérite culturel au Palais Capanema, siège du ministère de l'Education et de la Santé de l'Etat de Rio, un des symboles de l'architecture moderne brésilienne qu'il a dessiné avec d'autres dans les années 1930, Niemeyer n'y est pas allé. Le président Lula s'est rendu à son bureau de Rio. La cérémonie a finalement eu lieu, Niemeyer aime bien Lula. Communiste historique, il a vu avec enthousiasme l'arrivée au pouvoir d'un ouvrier. Niemeyer a réalisé certains de ses plus beaux ouvrages après 80 ans ! «Quel architecte brésilien a réalisé ces vingt dernières années des œuvres d'aussi grande qualité et qui témoignent d'autant d'inventivité que le musée de Niteroi, inauguré en 1996 ou l'auditorium d'Ibirapuera, inauguré en 2005 à Sao Paulo ?», s'est interrogé le critique en architecture André Correa, auteur du livre Niemeyer, une architecture de la séduction. Ce qui est bouleversant, c'est que le dernier ouvrage a été réalisé alors que Niemeyer avait 97 ans ! Un génie moderniste qui a «bonifié» avec l'âge et qui demeure l'un des créateurs les plus originaux de ces cinquante dernières années. Bravo l'artiste ! [email protected]