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Gabriel Le Bomin : "Il est faux de croire que la guerre d'Algérie était une guerre sans images"
Economie
Publié dans El Watan le 25 - 02 - 2012

« La guerre d'Algérie, la déchirure » est un documentaire réalisé par Gabriel le Bomin et le spécialiste de la Guerre d'Algérie Benjamin Stora. Sorti en avant-première le 13 février 2012 en France, le documentaire sera diffusé le 18 mars prochain sur la chaine publique française France 2, à la veille du cinquantenaire des Accords d'Evian.
« La guerre d'Algérie, la déchirure », dans quelles conditions avez-vous préparé ce documentaire surtout qu'il est fait d'un ensemble d'archives, de films, d'images parfois inédites ?
J'ai écrit ce film documentaire de deux fois 52 minutes avec l'historien Benjamin Stora. C'était pour moi la condition nécessaire pour accepter ce projet. Avoir à mes côtés l'un des meilleurs spécialistes du sujet, qui pouvait apporter sa hauteur de vue, son analyse, son sens aigüe de la nuance.
J'ai ensuite plongé totalement dans une recherche d'images d'archives. Ce travail, fait en collaboration avec Marie-Hélène Barbéris, documentaliste m'a permis de visionner plus de 250 heures d'images. Et dire qu'une légende persistante prétendait que la guerre d'Algérie était une guerre sans images !
Le pari de ce film était de raconter, et cela pour la première fois, l'ensemble du conflit tout en images d'archives. Près de deux heures de récit sans entretiens, sans reconstitutions, sans fiction. J'ai mesuré l'impact de ce choix auprès du jeune public à qui nous l'avons récemment proposé. A l'université de Villetaneuse, en Seine Saint-Denis, leur première réaction a été : « c'est donc vrai puisqu'on le voit ». C'est toute la force d'évocation des images.
Grâce à ce travail, nous avons pu retrouver de nombreuses images inédites, notamment auprès de cinémathèques étrangères. A Belgrade, à Berlin, à Genève, à Londres… Nous avons aussi trouvé des images inédites, pour les français en tout cas, auprès de la télévision algérienne. Il s'agit d'une séquence où l'on voit Ferhat Abbas reçu à Pekin par Mao en 1960. Il est reçu comme un chef d'Etat, le drapeau algérien est hissé et l'hymne algérien est joué devant des dizaines de milliers de personnes. Benjamin Stora était très enthousiaste à la découverte de ces images.
Enfin en France nous avons eu accès à l'ensemble des rushes tournés par l'armée française, sans aucune censure. C'est très important d'être reparti des rushes d'origine, car à la différence des films montées, ils n'ont à priori subi aucune censure.
Et puis nous avons eu la grande chance d'obtenir l'accord de René Vautier, et de la famille de Pierre Clément, d'utiliser leurs images tournées dans les maquis de l'ALN par ces cinéastes impliqués. Des images précieuses car uniques et qui nous ont permis de construire le film dans un aller-retour permanent entre les différents protagonistes.

Vous dites que l'ambition du film était aussi de mettre en lumière « le champ et le contre champ » de cette guerre. Qu'entendez-vous par là ?
Comme je le disais précédemment notre ambition était de construire un récit en « champ/contre-champ », dans la mesure du possible, car parfois les images manquent. Notre objectif n'était pas de confronter les mémoires, des mémoires meurtries, ni de jeter de l'huile sur des braises encore brûlantes.
Benjamin Stora et moi-même avons voulu écrire et réaliser un film d'histoire. C'est à dire qu'il puisse raconter les événements et les personnages avec une pointe de distance et comprendre l'enchainement tragique des faits, sans porter de jugement. J'espère que 50 ans après cela est possible et que le film contribuera dans une modeste mesure à la compréhension des choses, par la raison, et donc à la réconciliation.

Du point de vue filmique, comment aviez-vous reconstitué le récit de cette guerre en relatant les horreurs commises par les deux camps. En quoi consiste votre touche en tant que réalisateur et la touche de Benjamin Stora en tant qu'historien ?
Mon expérience de réalisateur vient surtout de la fiction. J'ai donc dans un premier temps cherché à créer du récit. Comme un conteur. Puis il a fallut contracter le temps, huit ans de guerre, en deux heures de récit. J'ai tenté aussi de raconter l'histoire par les personnages qui les déclenchent les évènements ou les subissent.
Avec Benjamin Stora j'ai eu le sentiment d'une collaboration parfaite. Nous avons structuré le récit, balisé les grandes dates, les personnages incontournables. Il est ensuite régulièrement venu au montage pour « valider » ce que le film raconte, nuancer certains passages, en éclairer d'autres.
Le travail de réalisateur, outre le choix des archives, la mise en récit, consiste en une vaste opération de montage des images. J'ai eu la chance d'avoir deux monteurs exceptionnels, Barthélémy Vieillot et Bertrand Collard, qui m'ont grandement aidés dans cette aventure : nous avions plus de 140 heures d'images à choisir et organiser.
Et puis il y a eu aussi une étape nouvelle pour moi : la colorisation des images noir et blanc. Il faut savoir que sur le fond iconographique de la guerre d'Algérie, environ un quart des images d'origine sont en couleurs. Il fallait donc pour harmoniser l'ensemble et rendre le film attractif pour le jeune public donner de la couleur.
J'ai utilisé cet outil de la colorisation comme pour une fiction : choisir les couleurs en fonction de la pertinence historique et de la justesse artistique.
Expérience humaine inédite pour vous. Vous en sortez comment ?
J'en sors très enrichi. Historiquement, humainement. Effrayé aussi par le niveau de violence déployé de part et d'autre. J'ai été aussi marqué par le gâchis humain, le cynisme politique, la fureur déployée de toutes parts.
J'avais une connaissance superficielle du conflit, comme la majorité des français. Plongé pendant près d'un an dans les documents, les images, les écrits, les échanges avec Benjamin Stora, m'ont permis d'appréhender la complexité, de comprendre, de me passionner pour cette histoire, ses origines et ses conséquences.
J'ai découvert, en parlant autour de moi, que la guerre d'Algérie n'était pas une « langue morte ». Je veux dire par là qu'il a y des périodes de l'histoire qui n'ont plus de prise sur notre époque. Ce n'est pas le cas de cette guerre. Les français vivent dans un système politique et institutionnel issus de cette période, la Vème République. Et puis il y a l'héritage humain. Tous ceux qui l'ont vécu et qui sont encore là et leurs enfants à qui ils n'ont pas beaucoup parlé.
J'espère que la diffusion de ce film, à une heure de grande écoute, permettra de déclencher de l'échange, de la parole.


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