Architecte-enseignant à l'université de Jijel, Mustapha Blibli a reconstitué la vieille ville de Jijel communément appelée Citadelle. Mais cette appellation est, selon M. Blibli, inappropriée. Celui-ci préfère parler de médina, bien qu'aujourd'hui toute cette vieille ville, dans laquelle au moins 120 maisons ont été recensées, n'existe plus. Se basant sur des documents iconographiques et écrits, il a pu faire revivre virtuellement cette cité millénaire en 3D. - Suivant les sources historiques, la ville de Jijel était catégorisée comme médina ? Le problème c'est qu'on a perdu ses traces. C'est pour ça que les gens parlent de Citadelle ou de base militaire ou navale depuis 1856. Il est clair qu'à Jijel il y a avait un noyau urbain avant l'arrivée des Français, ce qui m'encourage à parler de médina. Jijel existe depuis les Phéniciens, une vingtaine de siècles d'histoire !
- Pourquoi ailleurs on utilise le terme de médina, alors que cette appellation n'a pas résisté au temps à Jijel ? Là, c'est un jeu de mots. Casbah, c'est l'appellation de médina au Maghreb, d'ailleurs on ne trouve pas cette dénomination au Moyen-Orient. On ne désigne pas Jijel de Casbah parce qu'elle a tout simplement disparu. A Alger, Bejaïa ou Annaba, la Casbah est toujours présente alors qu'à Jijel la ville a été complètement rasée par le tremblement de terre de la nuit du 21 au 22 août 1856. Il y a un travail historique à faire, qui dépasse malheureusement mes compétences.
- Comment vous est venue l'idée de reconstituer la Citadelle ? C'est d'abord un lien affectif. Ma famille en est issue. On m'a toujours raconté qu'on avait une maison dans la Citadelle, et jusqu'à une certaine date elle existait toujours. D'ailleurs, certaines maisons sont restées debout jusqu'après l'Indépendance. Mais la majorité a été détruite. J'ai pu faire ce travail grâce à un fonds documentaire qui se trouve à Vincennes en France, auquel j'ai pu accéder grâce à l'aide de Faouzi Hanouf, un collègue architecte installé à Paris. C'est très riche puisque tout le travail des ingénieurs du génie militaire a été conservé. Pour les archives historiques, un fonds documentaire se trouve par ailleurs à Aix-en-Provence.
- Donc à partir de ce fonds, l'idée de reconstruire la médina en 3D a germé ? Effectivement. Certes, il y a une reconstruction à travers une maquette de la Citadelle au musée de l'armée à Riad El Feth à Alger. Mais, là ce n'est pas la médina, plutôt la Citadelle. C'est la ville à l'époque coloniale, après l'intervention du génie militaire français. Mais ce qui m'intéressait, c'est ce qui existait avant. J'ai utilisé le relevé des états des lieux ainsi qu'un fonds documentaire de la navigation. Des prospecteurs ont sillonné la région par mer parce que la ville était un fief de corsaires. C'est ce qui a fait qu'elle a été un centre d'intérêt pour les puissances maritimes européennes qui ont ainsi laissé des gravures et des descriptions relatives à la côte et à la médina. Certes, certaines gravures paraissent sommaires. On a même relevé des habitations de 3 à 4 étages, ce qui n'est pas sensé pour l'époque. On suppose que le graveur décrivait un noyau urbain tel qu'il l'a connu en Europe. Par contre, certaines gravures me semblent plus proches de la réalité. Elles décrivent des maisonnettes avec patio, avec toit couvert de tuiles sur un seul versant. On y a même relevé des voûtes en arc. On ajoutera aussi le travail du génie militaire qui a occupé les maisons de certaines familles ayant abandonné la médina après l'entrée des Français. Les militaires ont fait un état des lieux et des plans avant de les réaménager. On a découvert qu'il y avait des maisons d'un étage. Cela s'explique par la forte densité qui existait dans la cité vu que les habitants ne voulaient pas sortir des fortifications qui ceinturaient la totalité de la presqu'île qui abrite la cité.
- Quels sont les principaux éléments constituant cette cité ? On a en premier lieu les remparts, d'origine romano-byzantine. On a aussi les portes. Le souk se trouvait près de la porte donnant sur l'arrière-pays où se font les échanges ville-campagne, qui était aussi près de la grande mosquée. On suppose qu'il y avait des petites mosquées genre zaouïas. Le tracé des rues était une arborescence commune des tissus urbains des médinas. Des ruelles qui ne dépassaient pas les 2 ou 3 m de largeur. Mais la spécificité de cette médina, c'est qu'elle est une résultante de plusieurs cultures, de différents envahisseurs. On a eu des présences d'Italiens (Vénitiens, Pisans et Génois). D'ailleurs il y avait deux tours génoises. Ces tours défensives étaient implantées du côté de la porte et une côté mer. De cette dernière, à l'arrivée des Français, il ne restait que l'emprise au sol alors que pour la deuxième, elle a résisté jusqu'au tremblement de terre de 1856. Bien sûr, il y a eu d'autres cultures notamment arabe et ottomane. J'ai retrouvé un foundouq où se faisait le commerce de bétail, avec deux écoles coraniques et j'ai pu reconnaître un caravansérail près du souk à droite de la porte. Il y a aussi un élément spécifique, le débarcadère, c'est-à-dire un quai en pierres du côté Est, près de la Bab lebhar (la porte de la mer).