Deux journalistes français publient Le Roi prédateur, un livre à charge contre Mohammed VI, le souverain marocain qu'ils accusent d'avoir mis l'économie du pays «en coupe réglée» pour s'enrichir. L'édition de dimanche dernier du quotidien espagnol El Pais, qui publiait les bonnes feuilles de l'ouvrage, a été interdite au Maroc, un haut responsable du ministère de la Communication soulignant son caractère «diffamatoire et sans preuve». Les deux co-auteurs du livre, publié aux éditions du Seuil, sont Catherine Graciet et Eric Laurent. La première a été journaliste au Maroc et a notamment écrit, avec le journaliste Nicolas Beau, La Régente de Carthage, un ouvrage consacré à Leïla Trabelsi, épouse de l'ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. Eric Laurent a publié de nombreux ouvrages, dont La Mémoire d'un roi (1993), un recueil d'entretiens avec le roi Hassan II, père de Mohammed VI. Le livre des deux journalistes part d'un constat : «En juillet 2009, le magazine américain Forbes créa la surprise en publiant sa liste annuelle des personnalités les plus riches du monde. Dans le classement spécialement consacré aux monarques, le roi du Maroc faisait une surprenante apparition à la 7e place, avec une fortune évaluée à 2,5 milliards de dollars.» La fortune de Mohammed VI «avait doublé en cinq ans» en dépit de la crise financière mondiale, notent les auteurs. «Mohammed VI, roi du Maroc, est désormais le premier banquier, le premier assureur, le premier agriculteur de son pays. Il y joue un rôle dominant dans l'agroalimentaire, l'immobilier, la grande distribution, l'énergie et les télécoms», disent-ils. Les deux journalistes cherchent à décrire les rôles respectifs dans l'entourage du roi, dans la conduite des principaux holdings gérant les participations royales dans les entreprises du pays et dont le domaine d'action s'est élargi depuis l'accession au trône de Mohammed VI, en 1999. Ils décrivent plusieurs opérations démontrant, selon eux, cette mainmise du palais royal sur la marche des affaires, comme les circonstances de la création de la plus grande banque du pays ou l'introduction en Bourse d'un groupe immobilier appartenant à un proche du roi. «L'absolutisme royal de Hassan II était résolument politique et visait à assurer la pérennité de la monarchie marocaine. L'absolutisme de Mohammed VI s'exerce, lui, dans le domaine de l'économie et ne s'accompagne d'aucune stratégie politique pour assurer l'avenir de la dynastie qu'il incarne», estiment les deux journalistes. Les éditions du Seuil ont par ailleurs protesté, mardi, contre l'interdiction d'El Pais au Maroc. «Les Editions du Seuil, éditeur du livre, par la voix de leur président, Olivier Bétourné, s'indignent, au nom de la liberté d'expression et de publication, de cet acte de censure contre un livre certes fort critique du roi du Maroc et de sa cour, mais écrit de bonne foi et fruit d'un travail d'enquête exceptionnel», indique un communiqué.