Derrière le concert à Paris du 19 mars prochain, le long cheminement d'une passion. De notre Bureau El Watan de Paris
- Comment ce concert a-t-il pris forme ? Quelle est sa symbolique ? C'est un projet qui me tenait à cœur, qui est le fruit d'une dizaine d'années de travail, d'une réflexion et de réalisations. Ce n'est pas conjoncturel. Après un parcours international et en France en tant que directeur musical, je travaille en Algérie depuis 2001. J'ai rouvert le département Opéra d'Alger au TNA du temps où Ziani Chérif Ayad en était le directeur, et je me suis rendu compte que le public algérien adore l'opéra. - Y compris les jeunes ? Absolument. Parce que dans l'opéra il y a une histoire, des décors, des lumières, la musique, un orchestre dans une fosse, des chanteurs, une multitude d'arts qui se regroupent et surtout l'aspect spectacle. Et les Algériens, je le dis par expérience, du fait de mes nombreux concerts en Algérie, aiment le spectacle, et le spectacle de qualité en particulier. De surcroît, on a vu qu'il y avait des possibilités par rapport à cet art, soit un orchestre avec la relance de l'Orchestre symphonique national en 2001, et un formidable potentiel en termes de voix qui a permis de constituer une chorale au TNA. On faisait venir des chanteurs solistes de France et d'Europe, et ce, dès 2001. J'ai ensuite créé l'Orchestre philharmonique d'Alger, destiné essentiellement au théâtre, qui a donné de nombreuses représentations avec de nombreux partenaires. - Il y a eu alors une impulsion importante… Oui, on a participé à l'Année de l'Algérie en France en 2003 ; à la célébration, en 2004, du 50e anniversaire du déclenchement de la lutte de Libération nationale avec l'orchestre de la Garde Républicaine ; à une soirée réunissant 22 chefs d'Etat, à l'occasion du Sommet arabe d'Alger en 2005. Il y a eu aussi «Alger, capitale de la culture arabe en 2007» pour laquelle, avec l'Orchestre symphonique national comprenant 250 artistes algériens, nous avons fait le concert de clôture et introduit la zorna. Sur tous ces événements, il y a eu des échanges entre musiciens algériens, français et européens. J'ai également lancé les concerts éducatifs qui regroupaient entre 500 et 1000 enfants dans des grandes salles d'Alger et en Algérie. Le concept est de faire connaître la musique symphonique aux enfants, leur donner des clés musicales. Les enfants venaient des conservatoires, mais aussi des écoles et collèges. L'autre dynamique est d'avoir intégré des instruments traditionnels dans l'orchestre symphonique, ce qui a produit un effet formidable, nous permettant de nous reconnaître, nous, Algériens, par ces instruments traditionnels et par cette musique universelle. Je revendique mes deux cultures, algérienne et française, une double richesse qui permet de comprendre et de respecter les différences. C'est le sens de ma démarche à travers dix ans de travail en compagnie de musiciens algériens et français. - Vos créations s'inspirent des musiques algérienne et universelle... La musique arabo-andalouse est de la musique classique élaborée et que j'ai pratiquée dans mon cursus de formation, que j'ai transcrite, arrangée et que j'ai présentée en dehors de l'Algérie, à l'Unesco. Depuis 15 ans, je suis directeur des chœurs et orchestre philharmonique international basé à l'Unesco à Paris, et je suis artiste de l'Unesco pour la paix. Dans ce sens, j'ai beaucoup travaillé pour la promotion de la diversité culturelle et le dialogue des cultures et, dans toutes mes réalisations, il y a toujours une part d'Algérie. Le travail de toutes ces années a abouti à ce qu'on se dise qu'il serait bien de pérenniser cette relation entre les deux pays, l'Algérie et la France, d'autant que beaucoup de concerts réalisés en Algérie ont eu lieu dans le cadre de la coopération culturelle bilatérale à travers les CCF en Algérie et le Centre culturel algérien à Paris. Il y a un partenariat artistique entre musiciens et un partenariat logistique entre structures. Cette coopération s'est matérialisée par un organe pérenne, créé il y a six mois : l'OSAF, (Orchestre symphonique Algérie France). Il est actuellement basé à Paris, mais nous souhaitons aussi, dans une seconde étape, l'implanter à Alger. L'objectif de cet orchestre est de célébrer le Cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie, mais aussi d'imaginer, dans le futur, un tremplin pour les artistes algériens ou français pour qu'ils puissent se rencontrer et faire de belles choses en commun. - Qui soutient et finance cet orchestre ? Notre structure n'est pas financée par des institutions étatiques mais par des entreprises françaises, puisque le premier concert a lieu à Paris. Nous avons aussi un important soutien du Centre culturel algérien à Paris dont le directeur, l'écrivain Yasmina Khadra est, côté algérien, président d'honneur, l'autre président étant Marc Bouteiller. C'est un projet qui intéresse aussi le Conseil culturel de l'Union pour la Méditerranée et l'Institut français. Notre souhait est que ce premier concert ait un écho positif et de la visibilité pour nous permettre de réaliser un beau projet «Houria, qafilat essalam» (Caravane de la paix), un grand concert-spectacle, avec des musiciens, des chanteurs et des danseurs des deux rives pour célébrer le Cinquantenaire de l'Indépendance, le 5 juillet, à Alger. L'idée était de faire un concert dans chacune des wilayas historiques du FLN (en Algérie et à Paris). Pour le concert de lancement, nous avons choisi la date du 19 mars. Pour moi, il est important de respecter les symboles et de les défendre. Le 19 mars, c'est le cessez-le-feu, le premier grand pas vers l'indépendance de mon pays. Ce concert s'intitule Concert d'amitié Algérie France. Je crois personnellement qu'on doit se tourner aussi vers l'avenir et concevoir cette relation sur un aspect amical pour que l'on puisse rentrer ensuite dans une relation plus particulière. Bien sûr, sans oublier le passé. - Combien de musiciens sont mobilisés pour le concert du 19 mars ? Cinquante musiciens pour cinquante ans d'indépendance, moitié algériens, moitié français. Au programme de ce concert il y a de la musique arabo-andalouse, en première partie (nouba Zidan) avec un fabuleux chanteur, le musicologue et violoniste Rachid Brahim Djelloul, qui a créé l'ensemble Amedyez. Il y a ensuite des extraits de l'opéra Carmen, de Bizet, avec deux chanteurs français Sarah Laulan, qui a des grands-parents nés en Algérie, et le ténor et flûtiste, Pierre Vaello, né à Alger. Par Carmen, on fait un clin d'œil à l'Andalousie. On continuera ce parcours musical avec la Suite algérienne de Camille Saint-Saëns, un compositeur qui a longtemps séjourné et qui est mort à Alger en 1921. Et on terminera par une petite œuvre, intitulée Rihla, du compositeur Smaïl Benhouhou, en guise de voyage à travers plusieurs régions d'Algérie. - Avez-vous reçu des échos sur cette initiative ? Les gens sont ravis à plus d'un titre. C'est le fruit de plusieurs années de travail, et c'est une initiative originale qui fait côtoyer de manière officielle et visible des musiciens algériens et français, avec une volonté de s'afficher ensemble, dans un bel esprit d'échange et d'excellence. Le programme part de l'Algérie et revient vers l'Algérie, les deux rives de la Méditerranée se parlent à travers le répertoire. Et puis, il y a aussi le choix de la salle, la salle Gaveau de Paris. C'est une salle classée monument historique parisien, d'une capacité de 1000 places, un lieu prestigieux pour un travail de prestige. Nous essayons de représenter l'Algérie à un niveau très élevé. Et à travers ce travail, c'est une manière d'inscrire notre musique dans l'universalité. En tout cas, c'est une quête, la mienne.