«Le projet de l'usine Renault en Algérie est un vrai show, merveilleusement interprété par les politiques algériens et leurs semblables de l'Hexagone sont à la fois coauteurs et spectateurs», lâche un haut responsable chargé du marketing auprès de deux des plus grands sous-traitants de la zone Euromed du groupe automobile Renault. Je suis sidéré à chaque fois que je lis dans les médias de notre pays certains ministres affirmer que le projet était en bonne voie et que l'accord serait bientôt signé. Je me suis dit qu'il faudrait bien qu'il y ait quelqu'un pour dire que ce projet est un leurre, une chimère, un mirage auquel seuls les auteurs de ces déclarations croient. Je pense qu'il faut arrêter de raconter n'importe quoi aux Algériens. A l'image de Fiat, le projet Renault ne verra jamais le jour», assure notre interlocuteur, visiblement fort bien connaisseur des arcanes de l'industrie automobile de par les longues années d'exercice dans le secteur aussi bien en France, en Espagne qu'en Turquie. D'ailleurs, dans ses affirmations, ce Franco-Algérien sera quelque peu conforté par le premier responsable de la firme en Algérie. Lorsqu'interrogé en 2009 sur cette affaire, celui-ci s'était limité à reconnaître l'existence de simples vieux contacts entre l'Etat algérien et la marque au losange, se gardant toutefois de donner d'autres précisions. Pour appuyer ses dires, notre source expliquera d'emblée qu'«aujourd'hui, il ne s'agit plus de constructeurs automobiles, mais d'assembleurs. Ces derniers se limitent à donner la forme finale en assemblant ce que leur fournissent leurs sous-traitants». En la matière, Renault ne fait pas l'exception, précise-t-il avant de s'étaler sur certains aspects liés à la production attendue de la «prétendue» usine algérienne. Avec 150 000 véhicules/an dont il est question, le groupe français va-t-il enfreindre la norme de 300 000 unités en moyenne à laquelle l'on veut aboutir actuellement dans ce type d'industrie. En effet, tient à souligner notre source qui a requis l'anonymat de par la nature de la fonction qu'elle occupe et le caractère particulièrement sensible du dossier de l'usine Renault Algérie et « pour investir dans un pays, un constructeur automobile a besoin d'un marché solide. L'Algérie a importé quelque 300 000 véhicules en 2011, tous modules et fabricants confondus. Même si l'on affirme qu'il s'agirait probablement d'un polyvalent tri-corps, modèle du segment qui totalise le plus grand nombre de ventes sur le marché algérien. Parler d'une usine qui construirait au plus 75 000 ou même 150 000 voitures d'un seul modèle est aberrant». En cause, aujourd'hui, renchérit-il, l'industrie automobile tourne avec un seul module sur plusieurs variantes. Aussi, c'est sur une moyenne de pas moins de 300 000 véhicules au titre de capacités annuelles que l'on table un peu partout dans le monde. A ses yeux, la logistique est un autre critère décisif sur lequel s'appuient les constructeurs automobiles préalablement à la formalisation de tout projet de délocalisation d'une partie de leur processus productif. Valeo, Forecia et autres Cette logistique ne peut exister sans l'adhésion du tissu de sous-traitance auquel est fatalement liée la très complexe industrie automobile. Complexe, car c'est un créneau qui doit être adossé à une industrie locale, à savoir la naissance d'une petite industrie d'équipementiers à travers le territoire national. « Pour assembler un véhicule, il faut une logistique impressionnante, tout un tissu de sous-traitants lesquels, dans le jargon des constructeurs, sont classifiés : sous-traitants Rang I, Rang II et Rang III. La première catégorie est le seul interlocuteur direct du constructeur. Les deux autres ont, quant à elles, exclusivement affaire aux sous-traitants Rang I». Ces équipementiers et fournisseurs intervenant dans la sous-traitance sont-ils implantés en Algérie ? Y ont-ils des représentants ?, s'interroge la même source proche de Renault. Et pour bien mettre en exergue l'enchevêtrement des réseaux de sous-traitance automobile, il citera un exemple des plus anodins, mais combien significatif : la charnière des portières dont la fabrication nécessite l'intervention de pas moins de trois sous-traitants. Selon lui, même si des PME/PMI venaient à être créées en Algérie, Renault n'accepterait jamais de s'adresser à des sous-traitants autres que ceux déjà qu'il a déjà homologués depuis de longues années à l'image de Valeo, Forecia, Snop, Farurecia, Oxford -Rang I - sans parler des autres -Rang I et Rang II - qui se comptent en milliers. «Parler d'une usine Renault en Algérie alors qu'aucun de ces sous-traitants n'est présent en Algérie relèverait de la dérision. En réalité, seulement de simples échanges d'information ont eu lieu, voilà des années, entre le constructeur et ses sous-traitants Rang I et rien d'autre. En plus, ce qu'il faut savoir est que nombre d'entre eux sont côtés en bourse. Pour ceux du rang II et III, la plupart sont des entreprises familiales». Et de s'interroger sur un ton ironique «pensez-vous qu'elles vont venir s'installer en Algérie avec la très pénalisante règle du 51/49 % ?, croyez-vous vraiment que les propriétaires de ces entreprises vont se contenter de la minorité alors que chez eux, ils sont les maîtres-seigneurs ?» En outre, notre interlocuteur, trouve tout aussi déraisonnable la déclaration de nos ministres chargés du «dossier» quant à la possibilité de renoncer à l'usine Renault et d'étudier l'offre de l'allemand Volkswagen au cas où les Français persisteraient dans leurs tergiversations. L'Algérie n'est-elle pas un pays économiquement attractif ? Si, mais pas pour l'industrie automobile, a-t-il répondu, précisant «dans le secteur de l'automobile, l'un des plus grands pourvoyeurs d'emplois et générateurs de revenus fiscaux et parafiscaux pour les pays hôtes, ce sont toujours les constructeurs qui posent leurs conditions s'ils décident de s'installer dans un pays et non pas l'inverse. Actuellement, des pays et non pas seulement des investisseurs se bousculent aux portillons de Renault avec des avantages inouïs à offrir. Ses choix, il les a toujours faits suivant ses intérêts». Pour notre source, l'avènement «Fatia» qui a plongé les Algériens dans un pessimisme crépusculaire et qui n'est pas à marquer d'une pierre blanche devrait pousser les pouvoirs publics à en tirer les enseignements. Et de conclure « une chose est certaine, un investisseur de la taille de Renault, de Volkswagen ou autres ne peut s'engager dans un plan à long terme, sans que toutes ces lacunes très peu accommodantes ne soient aplanies». Et, si El Watan économie tient à respecter l'anonymat de sa source, c'est parce que la déclaration «Fiat ne viendra jamais en Algérie» faite au milieu des années 1990 - en marge d'une rencontre économique à Annaba - avait valu à son auteur, un diplomate italien, d'être rappelé à l'ordre par sa hiérarchie puis une mutation.