Exit la relation personnelle qu'entretient le président Bouteflika avec l'émir du Qatar et que tout le monde qualifie volontiers de bonne, voire même d'excellente, cette visite est d'autant plus étonnante que les armées des deux pays n'ont pas pour habitude de collaborer. L'Algérie a reçu, mardi, une visite aussi surprenante qu'inattendue. L'allusion est faite, bien entendu, à celle que vient d'effectuer le chef d'état-major des forces armées du Qatar, le général-major Hamad Ben Ali Attiya. Et ainsi qu'il fallait sans doute s'y attendre, la dépêche rachitique de l'APS annonçant sa venue ne donne aucune information susceptible d'en saisir les tenants et les aboutissants. Comme d'habitude en pareil cas, le sujet est très vite noyé dans une formule alambiquée et passe-partout évoquant le souhait de l'ANP et de l'armée du Qatar de «renforcer» les relations de «fraternité» et de «coopération». En réalité, exit la relation personnelle qu'entretient le président Bouteflika avec l'émir du Qatar et que tout le monde qualifie volontiers de bonne, voire même d'excellente, cette visite est d'autant plus étonnante que les armées des deux pays n'ont pas pour habitude de collaborer. L'armée algérienne et celle du Qatar n'ont pas grand-chose en commun, si ce n'est peut-être un partenaire identique : les Etats-Unis. Au-delà, un fossé abyssal sépare leur doctrine, cela pour reprendre le jargon militaire. Contrairement au voisin marocain, l'ANP n'a par ailleurs besoin ni des pétrodollars qataris ou saoudiens pour s'équiper en armes ni de leur expertise militaire. Le constat est pour ainsi dire le même concernant le plan politique. Au moment où l'Algérie milite pour donner encore un sens à la notion de souveraineté des Etats et fonde son action sur le droit international, le Qatar apparaît comme un fervent interventionniste et s'investit pleinement et de manière cynique dans une redéfinition musclée de la carte de l'aire arabo-musulmane. L'information sur la venue du général-major Hamad Ben Ali Attiya à Alger laisse aujourd'hui d'autant plus perplexe que les capitales des deux pays soutiennent encore des positions différentes, pour ne pas dire complètement antagoniques sur les révoltes arabes et sont donc logiquement (en dépit des apparences) directement ou indirectement en situation de confrontation. Le Qatar et le chaos libyen La remarque se tient dans le cas du Maghreb où le Qatar, après avoir pris pied en Libye par l'entremise des salafistes locaux et d'une partie des notables de Benghazi – qui viennent d'ailleurs de déclarer la Cyrénaïque région autonome – entreprend actuellement d'étendre son influence. Et cela quitte à déstabiliser et précipiter dans le chaos toute la région. A ce propos, le très sourcé journal français Le Canard Enchaîné a révélé, la semaine dernière dans ses colonnes, que le Qatar est sur le point de supplanter l'Arabie Saoudite en matière de financement des groupes extrémistes salafistes qui activent de la Somalie au Sahel en passant par la Libye. Les shebabs somaliens et le Libyen Abdelhakim Belhadj, intronisé chef militaire de Tripoli, en sont d'ailleurs la parfaite illustration. En outre, inutile de parler des tentatives d'immixtion de Doha dans le jeu politique tunisien. Des tentatives auxquelles, d'ailleurs, le président Marzouki a répondu sèchement. Sachant tout cela et sans une explication franche entre Alger et Doha, il est difficile de voir les services de sécurité algériens s'accoquiner avec un Etat qui, disons-le clairement, soutient des terroristes. L'autre grand objet de discordances entre Alger et Doha porte bien évidemment sur le dossier syrien. Là encore, alors que la diplomatie algérienne prône un règlement pacifique à la crise, le Qatar milite en faveur d'une réédition du scénario libyen. En d'autres termes, la monarchie du Golfe – dont l'hyperactivité diplomatique trahit l'ambition de l'émir Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani d'arracher le flambeau du leadership arabe aux Saoudiens et aux Egyptiens – cherche encore désespérément l'occasion d'armer davantage l'opposition afin de mettre le feu aux poudres en Syrie et renverser le régime de Bachar Al Assad. Mais pour cela, il faudrait faire sauter le verrou russe et, accessoirement, algérien. L'alignement de l'Algérie sur la position qatarie pourrait en effet permettre au Qatar de recoller les morceaux du consensus arabe et de brandir un argument valable à la face de Moscou pour poursuivre sa guerre contre les chiites syriens. Le général-major Hamad Ben Ali Attiya, qui paraît également avoir enfilé une casquette de diplomate, vient-il à Alger pour justement sonder sur la question le président Bouteflika, qui l'a reçu hier en grande pompe ? Rien n'interdit de le penser, lorsque l'on sait que l'Algérie contrarie actuellement assez les plans du Qatar. Mais il n'est pas interdit de supposer aussi que cette visite énigmatique n'a pas de lien avec l'autre grand cauchemar de Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, l'Iran… un autre pays qu'Alger à l'avantage de bien connaître.