Le Maghreb, à l'instar de nombreux pays d'Occident, commémore, cette année, la disparition survenue au Caire, il y a 6 siècles, de l'un de ses fils, le plus prodigieux de tous : Abderrahmane Ibn Khaldoun, précurseur médiéval de l'histoire des civilisations. Arnold Toynbee dit de lui qu'il a « conçu et formulé une philosophie de l'Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays ». Ce personnage hors pair, considéré comme l'un des plus grands historiens de tous les temps et surtout comme étant le précurseur de la sociologie moderne, a été au centre d'une journée d'étude, hier, à la Bibliothèque nationale du Hamma. De nombreux conférenciers, dont le docteur Cheriet, écrivain et professeur à l'Université d'Alger, et Abdelkader Djeghloul, écrivain et conseiller à la Présidence, ont été invités pour discourir sur la pensée khaldounienne autour de trois concepts : « Religion et civilisation », « Sciences des sociétés » et « Histoire ». Le plus important à souligner réside dans l'universalité de l'auteur de la Muqaddima et son avance sur son temps et sur sa société. Car en plus de nous livrer une somme considérable de connaissances sur son temps et sur son milieu social et culturel dans une démarche quasi encyclopédique (et ce plusieurs siècles avant les encyclopédies du siècle des Lumières), il peut encore, du fin fond de son XIVe siècle, expliquer nos échecs et les évolutions de nos sociétés actuelles. C'est que Ibn Khaldoun a vécu à une époque charnière qui lui a permis d'être à la fois le témoin d'une grandeur passée et l'observateur averti et conscient d'une décadence qui s'annonçait inéluctable. Dans son introduction à la Muqaddima, Ibn Khaldoun écrit : « J'ai suivi un plan original pour écrire l'Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un système tout à fait à moi (...) en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et à l'établissement des villes. » Conscient que sa démarche novatrice est une rupture avec l'interprétation religieuse de l'histoire, il poursuit : « Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matière formeront une science nouvelle (...). C'est une science sui generis, car elle a d'abord un objet spécial : la civilisation et la société humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent à expliquer successivement les faits qui se rattachent à l'essence même de la société. Tel est le caractère de toutes les sciences, tant celles qui s'appuient sur l'autorité que celles qui sont fondées sur la raison. » Son avant-gardisme ne passera pas inaperçu aux yeux de nombreux penseurs et critiques occidentaux. Vincent Montreil, dans sa préface à la deuxième traduction française de la Muqaddima, écrivait : « Ibn Khaldoun est fort en avance sur son temps... Aucun de ses prédécesseurs ou de ses contemporains n'a conçu ou réalisé une œuvre d'une ampleur comparable. »