Les agriculteurs d'El Tarf sont très en colère. Trois mois après les inondations de février et mars derniers, et le ballet ministériel qui a suivi, c'est le black-out total concernant les indemnisations promises par les pouvoirs publics. C'est tout juste s'ils ne traitent pas les ministres et leurs relais de menteurs. S'il n'y a pas intervention de l'Etat comme promis, les dernières inondations vont vraisemblablement donner le coup de grâce à des exploitations agricoles renommées de la plaine d'El Tarf-Annaba.Ce sont les troisièmes catastrophes depuis 2003 et si nous avons pu nous en sortir des deux premières, non sans traîner des dettes jusqu'à aujourd'hui, nous ne nous remettrons pas d'une troisième sans aide», ont-ils déclaré d'emblée à la conférence de presse donnée samedi pour alerter l'opinion publique et les autorités sur la gravité de la situation à El Tarf. Pour les agriculteurs, dont les poids lourds du secteur Besbès-Ben M'hidi, la gestion de ces barrages, qui ne cessent de se multiplier dans la wilaya – il y en aura 6 à terme – est à l'origine de désastres. «Nous avons averti les pouvoirs publics avant chaque inondation. Personnellement, je les ai avertis un mois avant celle de février, lorsqu'il a neigé à Bouhadjar, car j'ai appris à mes dépens à sentir venir la catastrophe», précise Nacer Ayad, l'un des agriculteurs. Les terres qui faisaient de Besbès la commune la plus riche de l'empire colonial français «ne valent plus rien aujourd'hui», assène Zerniz Seddik, qui précise qu'il n'a pas, comme les commerçants, la latitude de se déplacer pour sauver son gagne-pain et celui de ses 400 ouvriers.«Le ministre des Ressources en eau, lors de sa visite, a évacué avec quelques mots techniques l'implication des barrages pour ne pas mettre en cause les véritables responsables de la tragédie que nous vivons actuellement. A le croire, seul le ciel est responsable de la catastrophe. En ce qui nous concerne, nous continuerons à dire, jusqu'à la preuve du contraire, que c'est la gestion des barrages qui nous a ruinés ! Et comme c'est de coutume dans ce pays, les fautifs sont protégés, promus et félicités», s'indigne encore le représentant de l'exploitation agricole Ayad. Le producteur de plants de tomate, Seddik Zerniz, révéle qu'il a été deux fois de suite frappé par les inondations de cette année. Risques non couverts par les assurances Avec la première vague d'intempéries du 22 février, il a perdu 320 000 plants cultivés en hors sol. Il s'est remis au travail pour être dans les temps de la campagne et a repiqué 100 000 autres plants qui ont été emportés par la seconde vague d'inondations, le 11 mars. «On ne peut plus continuer comme ça avec cette menace persistante des barrages qui, maintenant, constitue un risque et un danger permanent pour l'agriculture.» «Vous n'êtes pas assurés ?», avons-nous demandé. «J'ai payé 127 millions de centimes d'assurances auprès de la CRMA d'El Tarf après les inondations de 2003, raconte encore Nacer Ayad. C'était une assurance multirisque. Mais le jour où j'ai tenté de la faire valoir, on m'a dit que c'était seulement contre les incendies. Lorsque j'en ai parlé au ministre de l'Agriculture, il s'est contenté de répondre qu'on s'est moqué de moi !»Une bizarrerie que confirme d'ailleurs Kamel Arba, le directeur général de la mutuelle agricole lors de son passage à El Tarf après les inondations. Le ministre dépêché a également promis une aide de 700 millions de dinars pour 3000 fellahs de la région. «Ce n'est pas d'une aide que nous voulons et d'ailleurs cette aide est distribuée dans l'opacité la plus totale et elle profite pour l'instant aux opportunistes. Il n'y a pas eu de recensement rigoureux des sinistrés, d'expertise des pertes subies et pas de contacts formels et encadrés. Personne ne nous a contactés et pourtant tous savent que nous sommes les plus touchés, sinon pourquoi avoir fait défiler les ministres chez nous ?», assène Touhami Chadli, le plus gros producteur céréalier de la région, qui a également perdu sa pépinière de plants de tomate industrielle. Les services agricoles ne savent pas ce qu'est une aide. Formatés par un environnement où dominent les prêts bancaires et ceux de l'Ansej, ils ont réclamé aux sinistrés complètement démunis de fournir la preuve qu'ils ont acquis 20% de leur part de plants de tomate pour recevoir les 80% de l'aide accordée par l'Etat. Une ineptie à laquelle Nacer Ayad dit avoir mis fin avec des efforts surhumains de patience et de persuasion. Une ineptie qui fait suite à une autre, celle d'avoir fait livrer trop tard les plants de tomate. Plus personne n'en voulait. En tout état de cause, les agriculteurs refusent cette aide. Ils ont droit à une indemnisation. La wilaya a été déclarée sinistrée, certes pas dans les délais et avec plus de 20 jours de retard – ce qui fait dire qu'elle était plus politique que technique – mais elle ouvre droit à une indemnisation sur la base d'une évaluation rigoureuse et réelle de ce qui a été perdu par les agriculteurs. C'est d'ailleurs ce qui a été promis par la demi-douzaine de ministres dépêchés, selon Daho Ould Kablia, par le Président en personne.