En hommage au sociologue Pierre Bourdieu, la Bibliothèque nationale d'Algérie (Alger) a abrité hier, en collaboration avec le Centre culturel français, une rencontre-débats autour du thème « Faire de la recherche avec Pierre Bourdieu en Algérie » et une exposition de 150 photos prises par Bourdieu lors de son séjour en Algérie (1958-1961) intitulée « Pierre Bourdieu - Images d'Algérie. Une affinité élective ». Elle s'étendra jusqu'au 26 du mois en cours. Dans son intervention, Claude Seibel, inspecteur général de l'INSEE, qui a travaillé avec l'auteur de Sociologie de l'Algérie entre autres, a rappelé l'expérience vécue avec Bourdieu en Algérie. Période durant laquelle il se convertit en sociologue, alors qu'il est philosophe de formation. Ainsi, après le plan de Constantine un groupe de jeunes diplômés en statistiques et Pierre Bourdieu ont été chargés par les autorités compétentes de faire des enquêtes sur la situation du social sur les populations algériennes. Néanmoins, « nous nous sommes heurtés à plusieurs problèmes à l'exemple des questions de concepts qui ne cadrent pas avec la réalité algérienne ». En parallèle, Pierre Bourdieu constate qu'une étude statistique est « insuffisante » pour cerner cette même réalité. A l'époque, il « s'intéressait aux questions d'emploi et de logement ». Ainsi, il voit nécessaire de combiner les statistiques, l'économie, la sociologie et l'éthnographie à l'effet de faire des études objectives. Comme il connaît le terrain, notamment la Kabylie, il forme des enquêteurs et des informateurs en conséquence. Ce travail d'équipe a abouti au livre intitulé Travail et travailleurs en Algérie. L'autre entreprise datant de cette période est cette étude faite sur les centres de regroupement. « Comme les conclusions sont accablantes, l'étude est publiée trois ans après (1963) », relève la même voix. L'étude porte le titre Le déracinement. Crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie en collaboration avec Abdelmalek Sayad, un de ses anciens élèves. De son côté, la directrice de Comera Austria, Christine Frisinghelli, a parlé des photos prises par Bourdieu durant la période 1958-1961. Elle indique que ce dernier a pris entre 2000 et 3000 photos en Algérie. Actuellement, il n'en reste que 650 négatifs dont font partie les 150 photos qui sont exposées aujourd'hui. « Ces photos interprètent une partie de la réalité algérienne, un regard attentif et affectif sur ce vécu. La photo constitue pour Bourdieu un outil pour dévoiler la réalité et nouer contact avec le peuple. Elles ont constitué un point de référence pour ses études futures avec ce souci de réhabiliter une société déchirée », indique-t-elle. De son côté, Franz Schultheis, enseignant à l'université de Genève et président de la fondation Pierre Bourdieu, estime que ce dernier s'est « formé en Algérie qu'il a fait connaître à travers ses livres qui sont traduits dans plusieurs langues ». « Issu du Béarn et d'une couche sociale défavorisée, il fait des études de philosophie à Paris. Il est forcé de venir en Algérie pour faire son service militaire alors qu'il est anticolonialiste. Au lieu de faire la guerre, il se convertit en sociologue. Ses ouvrages sont tous marqués par l'Algérie. Il a apporté une nouvelle vision sur le monde. »