C'est la première fois que la justice algérienne décide d'exclure des sociétés des marchés publics. Hier matin, le pôle judiciaire spécialisé du tribunal d'Alger a rendu son verdict concernant l'affaire de l'ex-conseiller du PDG d'Algérie Télécom, Mohamed Boukhari, et de l'homme d'affaires Mejdoub Chani, ainsi que deux sociétés chinoises – une publique, ZTE Algérie et l'autre privée, Huaiwei Algérie – poursuivis pour des faits de «corruption, trafic d'influence et blanchiment d'argent», commis durant les années 2003 et 2006. Une peine de 18 ans de prison à l'encontre des deux prévenus, assortie d'une amende de 5 millions de dinars et la confiscation de tous leurs biens acquis durant la période des faits a été prononcée. Les deux sociétés chinoises, ZTE et Huaiwei sont également condamnées en tant que personnes morales à 3 millions de dinars d'amende chacune, et à une exclusion de deux ans des marchés publics. Les trois responsables chinois en fuite, Dong Tao, Chen Zhibo et Xiao Chuhfa, ont été reconnus coupables de trafic d'influence et condamnés par défaut à une peine maximale de 10 ans de prison ferme. Un mandat d'arrêt international a été également lancé contre eux. Une bizarrerie est cependant à relever. Huaiwei Algérie et ZTE (des sociétés concurrentes) ont été condamnées à la même peine alors que les faits qui leur sont reprochés diffèrent. ZTE Algérie n'a signé qu'un seul contrat de consulting avec Mohamed Boukhari, bien après les trois autres que ce dernier a signés avec Huaiwei Algérie. A signaler également que c'est la première fois que la justice algérienne décide d'exclure des sociétés des marchés publics, à plus forte raison quand il s'agit d'entreprises fortement présentes sur le terrain. L'affaire, faut-il le rappeler, a éclaté à la suite de la commission rogatoire internationale délivrée par le juge en charge du dossier de l'autoroute Est-Ouest à la justice luxembourgeoise dans le but d'en savoir plus sur les comptes et sociétés de Mejdoub Chani au Luxembourg. L'enquête a révélé que ce dernier, propriétaire d'une société fiduciaire, avait ouvert des comptes et des sociétés offshore permettant aux deux sociétés chinoises bénéficiaires de marchés de téléphonie fixe (WLL) de verser au prévenu, Mohamed Boukhari, sa rémunération ou ses commissions en tant que consultant alors qu'il était conseiller du PDG d'Algérie Télécom. Lors du procès, Boukhari n'a cessé de clamer que l'argent qui lui a été versé appartient aux sociétés chinoises qui ont obtenu les marchés après un avis d'appel d'offres. Il a expliqué que le montant de 10 millions de dollars versé sur les comptes de ses deux sociétés fictives, «devait être partagé à parts égales avec les deux sociétés chinoises. Celles-ci m'ont proposé de créer des sociétés au Luxembourg parce que la société mère ne verse des fonds qu'aux personnes morales et non physiques. Un ami proche d'un responsable de Natixis au Luxembourg m'a aidé. Je n'avais qu'à disposer de l'argent. J'ai dépensé 2 millions de dollars dans l'achat de chalutiers que l'Etat a soutenu dans le cadre de la relance de la pêche. J'ai aidé de nombreux importateurs algériens en leur donnant des devises qu'ils me restituaient en Algérie». Mejdoub Chani a lui aussi clamé son innocence en se présentant comme la «véritable» victime dans cette affaire. «Je possédais une société fiduciaire et, à ce titre le directeur de Natixis Luxembourg m'a sollicité pour monter deux sociétés offshore. J'ai écrit à un cabinet londonien qui m'a remis toute une liste. Deux d'entre elles ont été retenues par Natixis. J'étais le fondé de pouvoir de leur représentation et aucun mouvement sur leurs comptes ne pouvait se faire sans ma signature. Je ne sais pas comment la banque a permis à Boukhari de mouvementer les comptes.» S'exprimant en parfait spécialiste, il fait un cours sur la signification des sociétés offshore et on shore : «Il arrive que les négociations pour les contrats soient lentes. En attendant la concrétisation de ces projets, une société offshore dotée d'un compte est créée pour prendre en charge toutes les dépenses y afférentes. Une fois le marché conclu, on ferme. Cela facilite la transaction et permet aux parties d'avoir de l'argent. Cela n'a rien d'illégal.» Les représentants des deux sociétés chinoises ont rejeté toutes les accusations et, elles aussi, se présentent comme les victimes d'une escroquerie de la part de leurs anciens responsables en fuite. «Huaiwei Investment n'a aucun lien avec Huaiwei Algérie ni avec la société mère», précise le responsable de Huaiwe.