Une peine de 20 ans de prison ferme assortie d'une amende d'un million de dinars a été requise hier contre l'ex-conseiller du PDG d'Algérie Télécom, Mohamed Boukhari, et l'homme d'affaires, Mejdoub Chani. Le pôle judiciaire spécialisé de Sidi M'hamed a jugé hier l'affaire de «corruption et de blanchiment d'argent» pour laquelle sont poursuivis l'ex-conseiller du PDG d'Algérie Télécom (2002-2005), Mohamed Boukhari, et Mejdoub Chani, l'homme d'affaires, ainsi que deux sociétés chinoises, l'une publique, ZTE, qui a obtenu la licence pour le téléphone fixe (WLL) et l'autre privée, Huwaie Technologie Investment, bénéficiaire de la licence pour internet. C'est une commission rogatoire transmise par le juge chargé de l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, à la justice luxembourgeoise, demandant des informations sur les comptes et les sociétés de Mejdoub Chani qui a été à l'origine de ce procès. Parmi les données transmises, figurent des détails sur deux sociétés offshore créées par Chani aux BVI (îles Vierges britanniques) et dont les comptes, domiciliés au Luxembourg, ont servi pour le transfert de 10 millions de dollars, effectué par deux sociétés chinoises activant en Algérie, au profit de Mohamed Boukhari. A la barre, ce dernier déclare : «J'étais conseiller en communication auprès du cabinet du PDG d'Algérie Télécom, après avoir occupé le même poste au ministère des Télécommunications. J'ai connu les responsables des deux sociétés chinoises en 2003, dans le cadre de mon travail. Ils m'ont invité à une fête, durant laquelle ils m'ont proposé de les aider en leur faisant des études prospectives dans le domaine économique. J'ai accepté et je ne vois pas en quoi c'est illégal. Je n'avais aucun pouvoir décisionnel pour les aider à obtenir des marchés. Je voulais avoir un peu d'argent en plus.» La juge : «Ne pensez-vous pas que 10 millions de dollars sont un montant exagéré pour une consultation ?» Le prévenu : «Cette somme ne m'était pas totalement destinée. Les Chinois ont exigé une personne morale pour justifier leurs dépenses. 50% des montants me revenaient et les 50% restants étaient pour eux. Un ami proche d'un responsable de Natexis au Luxembourg m'a aidé. Je n'avais qu'à disposer de l'argent. J'ai dépensé 2 millions de dollars dans l'achat de chalutiers que l'Etat a soutenu dans le cadre de la relance de la pêche. J'ai aidé de nombreux importateurs algériens en leur donnant de la devise de l'autre côté, et eux me restituaient les montants en Algérie.» La juge s'intéresse aux biens du prévenu. «J'ai toujours travaillé pour être à l'aise. En étant étudiant en France, j'arrivais à faire jusqu'à 30 000 FF, au début des années 1990. La villa de Annaba a été achetée avec l'argent de mon épouse bien avant les premiers virements. Les 6 contrats de consulting sont légaux», affirme-t-il. Appelé à la barre, Mejdoub Chani explique : «Vous avez remarqué qu'à aucun moment mon nom n'a été cité. Je n'ai rien à avoir avec cette affaire. Je possédais une société fiduciaire et à ce titre, le directeur de Natexis de Luxembourg m'a sollicité pour monter deux sociétés offshore. J'ai écrit à un cabinet londonien qui m'a remis toute une liste. Deux d'entre elles ont été retenues par Natexis. J'étais le fondé de pouvoir de leur représentation et aucun mouvement de leurs comptes ne pouvait se faire sans moi. Je ne sais pas comment la banque a permis à Boukhari de retirer des fonds.» Le prévenu explique, que 10 à 15 000 sociétés offshore sont créées au Luxembourg et qui, selon lui, ne sont qu'un habillage pour des contrats en négociation. «Il arrive que les négociations soient lentes, comme cela a été le cas entre Sonatrach et l'italienne ENI, dans le cadre de Medgaz. Cela a pris des années. Durant cette période, on a créé une société offshore avec un compte en attendant la concrétisation du contrat. Je l'ai fait aussi pour un contrat d'exploitation d'une mine de diamant en Afrique du Sud, qui a duré plus de six ans», conclut le prévenu. Les représentants des deux sociétés chinoises nient toute relation avec les contrats de consulting. «Hawei investment n'a aucun lien avec Hawei Algérie, ni avec la société mère», précise le responsable de Hawei, alors que le dirigeant de ZTE déclare : «Nous n'avons trouvé aucune trace de ces contrats dans nos archives.» Les deux cadres accusent d'une manière indirecte leurs trois représentants actuellement en fuite. Les avocats ont tous plaidé la relaxe. A commencer par ceux des sociétés chinoises : «Elles ont obtenu les marchés parce qu'elles sont les moins-disantes et les plus performantes.» La défense de Boukhari met en exergue la «probité» de ce dernier, tout en relevant que l'argent qu'il a perçu ne fait pas partie des deniers publics. Les avocats de Mejdoub présentent celui-ci comme «victime» de Natexis «qui lui a caché l'identité et la fonction de Boukhari et a donné à ce dernier accès aux comptes». Le parquet a requis une peine de 20 ans de prison ferme assortie d'une amende de 2 millions de dinars contre les deux prévenus et une autre peine de 10 ans de prison assortie d'une amende de 1 million de dinars contre les trois Chinois en fuite. Contre les deux sociétés chinoises, le procureur a demandé une amende de 5 millions de dinars et la saisie de leurs biens. L'affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu le 6 juin prochain.