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Leishmaniose, paludisme, prostitution et suicide des enfants
Ghardaïa La face cachée de la ville
Publié dans El Watan le 04 - 03 - 2006

Pour les touristes de passage, Ghardaïa est une destination rêvée, même si elle accuse un retard considérable en matière d'infrastructures d'accueil. Derrière cette hospitalité, se cachent néanmoins des frictions intercommunautaires (arabes, mozabites et kabyles), nées des conséquences de l'évolution socioéconomique de la région, mais également du jeu de manipulation auquel s'adonnent depuis des années certains responsables politiques locaux.
Pour de nombreux habitants de la région, ces frictions font l'effet de fortes houles qui agitent le fond des océans et finissent par provoquer des ressacs catastrophiques pour les villes riveraines. En effet, de nombreux événements ont secoué ces dernières années Ghardaïa et accentué les animosités de part et d'autre. Le dernier en date a été l'assassinat, en plein centre-ville, du représentant du Croissant-Rouge algérien, immolé par des jeunes encagoulés en octobre dernier. Sa formation de secouriste ne lui a pas servi à lui sauver la vie. Ses bourreaux l'ont aspergé d'essence avant de mettre le feu et il a dû se traîner jusqu'à sa maison, pour enlever ses vêtements. Les brûlures au niveau du crâne étaient tellement profondes qu'il a dû rendre l'âme à l'hôpital, en laissant une veuve et des enfants. Ce militant, connu dans cette ville, avait renforcé et multiplié les actions de bienfaisance durant le mois sacré, notamment à travers les couffins et les repas du Ramadhan. « Des opérations qui, depuis des lustres, étaient l'apanage des notables de la région », a déclaré un de ses proches amis, qui a requis l'anonymat. Dans cette ville, tout le monde est conscient de cette réalité, mais personne n'ose en parler publiquement, y compris les notables, de peur des représailles. Deux suspects auraient été arrêtés par les services de police, mais dont la famille et les avocats ne cessent de crier l'innocence. Durant octobre 2005, c'est le marché informel de la ville qui a été la cible des violences. Au moins une cinquantaine de tables, érigées au vu et au su des autorités locales, non loin du marché ancestral de la ville, ont provoqué la colère des notables de la région. La période du terrorisme a provoqué un exode de nombreuses familles venues surtout des régions de Tiaret, Saïda et Aflou. Et pour faire face au chômage, les jeunes ont opté pour le « trabendo », une activité lucrative, mais qui, au fil des années, a fini par exacerber les commerçants, installés depuis des lustres et qui s'acquittent régulièrement de leurs impôts, et ne cessent de perdre leurs clients. Les nombreuses plaintes, adressées aux autorités dès l'installation des premières tables de ce marché, sont restées lettre morte. Une situation qui a eu pour conséquence l'incendie de l'ensemble du marché informel par des jeunes en colère manipulés par certains notables. Les autorités se sont engagées à construire un nouveau marché pour les victimes de ce drame et les jeunes à la recherche du travail, sans pour autant prendre les mesures nécessaires qui s'imposent, afin que la force de la loi reste à la justice. Quelques mois auparavant, 7 véhicules immatriculés dans d'autres wilayas ont été incendiés, alors qu'un jeune, gérant du restaurant El Yamama, a été retrouvé poignardé et les mains ligotées, gisant dans son sang à près de 10 km de Berriane. De nombreux habitants de cette daïra, distante d'une quarantaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya, se sont plaints de cette recrudescence de la violence. Des jeunes encagoulés agissent en toute impunité, parfois en plein jour, mais souvent la nuit pour agir en police des mœurs. « La ville semble avoir sa propre police des mœurs et aucun des services de sécurité n'a réagi pour mettre un terme à ce diktat... », a déclaré un cadre de la wilaya, dont la voiture a été incendiée devant sa maison, sans que les auteurs, encagoulés, ne soient arrêtés. Kamel Fekhar, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme à Ghardaïa, a expliqué ce regain de violence par les agissements des autorités locales. « Ces violences sont le résultat de la mauvaise prise en charge des problèmes socioéconomiques de la région. Pour preuve, il y a quelque temps seulement, il y a eu un conflit autour d'un lot de terrain entre les notables de Beni Izguen et ceux de Mlika, et au lieu de laisser la justice faire son travail, les autorités ont joué au pourrissement en accentuant le conflit entre les deux factions, alors qu'il suffisait de mettre l'affaire devant la justice. Le pire a été évité, lorsque les deux tribus ont failli arriver aux armes. La tension était telle que les habitants des deux côtés ont cru qu'ils allaient revivre les événements de 1985, lorsque les tribus mozabites et arabes se sont affrontées durant plusieurs jours en utilisant des armes », a-t-il estimé. Un constat que réfute le commandant du groupement de gendarmerie, qui a déclaré que la situation est maîtrisée. Il a reconnu que des actes de violence ont eu lieu, mais depuis son arrivée l'été dernier tout est sous contrôle, ajoutant que les enquêtes sur ces cas sont en cours.
Une ville menacée par les MTH
Les nombreux notables avec lesquels nous nous sommes entretenus, sous le couvert de l'anonymat, tant la question reste pour eux sensible et dangereuse, ont tous pointé un doigt accusateur vers les autorités locales qui n'ont pas accordé d'importance à leur ville. « La wilaya de Ghardaïa n'a que rarement bénéficié de projets de développement à la hauteur de l'importance de cette région, et ce, comparativement aux villes limitrophes. Pourtant, l'organisation actuelle de cette cité ancestrale soulage l'Etat de nombreuses tâches, comme par exemple la construction de logement, puisque les Mozabites préfèrent réaliser leurs propres maisons. Exception faite pour les façades du siège de la wilaya, le chef-lieu est un des quartiers où le manque d'hygiène et les maladies à transmission hydrique sont devenues le quotidien des habitants... ». Des propos que les visiteurs peuvent vérifier en faisant juste un tour dans les quartiers de la ville. Le lit de l'oued M'zab, qui traverse la ville, est devenu un immense dépotoir pour les ordures ménagères, et où se forment à plusieurs niveaux des marécages survolés par des armées de moustiques. Les quartiers limitrophes, comme Kerkoura, ou encore Bala Essaïd sont de véritables coupe-gorges pour les automobilistes qui s'y aventurent. Les routes sont complètements défoncées et souvent impraticables. L'ancien barrage, Athbas Ejdid, n'est plus qu'une immense piscine d'eau stagnante, gîte idéal pour toutes sortes de bestioles, de rats et de chiens errants. Des foyers de maladies qui coûtent à la collectivité des budgets énormes. Trois cas de paludisme, notamment des enfants, ont été détectés dans cette zone, selon le représentant de la direction de la santé et de la population, alors que d'autres sources sanitaires avancent le nombre d'une vingtaine de cas, pris en charge dans les hôpitaux et cliniques privées entre 2004 et 2005. Plus grave, la leishmaniose fait des ravages dans les milieux juvéniles et le nombre de victimes connaît une hausse inquiétante, en dépit de l'optimisme du directeur de la santé, selon lequel le problème touche de nombreuses régions du pays et pas uniquement Ghardaïa. En effet, ce mal s'est répandu rapidement à plusieurs wilayas, y compris Ghardaïa, qui était jusque-là épargnée. Pour la seule ville de Berriane, en 2002, seuls deux cas ont été recensés, devenus 30 en 2003, 50 en 2004, pour atteindre 250 en 2005. Ce qui constitue une véritable inquiétude pour le corps médical, car cette maladie est due essentiellement à un manque d'hygiène, environnement où évolue le moustique transporteur de ce parasite, à savoir le phlebotum.
Prostitution à ciel ouvert
Les victimes, dans la majorité des enfants et des adolescents, se retrouvent avec la peau du visage complètement rongée par des boutons qui ne guérissent jamais. Deux autres cas de leishmaniose viscérale - la forme la plus grave de cette maladie mortelle - ont été également décelés dans cette localité. Une réalité que le directeur de la santé et de la population de Ghardaïa a évitée tout au long de l'entretien qu'il nous a accordé. Il a néanmoins reconnu que l'été dernier de nombreux enfants ont été pris en charge dans les structures hospitalières pour des complications dues à une mauvaise manipulation du vaccin contre l'hépatite B. Selon des médecins, « plus de 3 nourrissons ont subi des opérations chirurgicales pour extraire un kyste, apparu quelque temps après leur vaccination dans les structures sanitaires publiques. Bon nombre de ces enfants ont été pris en charge par des cliniques privées ». Cette affaire a fait couler beaucoup d'encre sans qu'aucune enquête ne soit diligentée par le ministère de la Santé. « Ce n'était pas aussi grave. Il est vrai que nous avons enregistré quelques cas d'enfants ayant eu des complications après le vaccin, mais ils ont tous été pris en charge dans nos structures. Ceux dont les parents ont paniqué, ont préféré se diriger vers les structures privées... », a déclaré le directeur de la santé publique. Pour M. Fekhar, cette situation est le résultat « du laisser-aller » dans lequel se trouve Ghardaïa. « La wilaya souffre d'un vrai problème de développement. La prostitution s'exerce à ciel ouvert sans que les autorités réagissent. Il suffit de faire un tour dans les rues de la ville, après les horaires de travail, pour le constater. Les notables de la région ont fermé les yeux. Ils préfèrent préserver la structure organisationnelle ancestrale pour éviter que le vent de l'évolution ne secoue les us et coutumes. Dans cette situation, ils gardent leur statut de seuls représentants légitimes de la population. Or, aujourd'hui, il y a une génération de jeunes qui ont une autre vision et qui veulent s'impliquer dans la gestion de leur cité. Ils ont vu que les notables, qu'ils soient du conseil de Azzaba ou de Laâchira, ne peuvent rien refuser aux autorités locales. Ils sont-là pour jouer le rôle du pompier ou de figurants. Toutes les manifestations violentes, qui ont eu lieu ces dernières années à Ghardaïa, ont été organisées par les jeunes qui exigeaient des autorités une meilleure prise en charge de leur ville à travers le développement de projets socioéconomiques. Le problème ethnique est une création des autorités locales, juste pour faire peur aux jeunes et faire taire les notables. Toutes les communautés vivent en harmonie... ». Le militant des droits de l'homme, et militant du FFS, a expliqué que la structure de Laâchira et d'Al Azzaba est une bonne méthode de préservation du mode de vie socioéconomique et culturel des tribus dans un contexte bien précis. « Aujourd'hui, a-t-il noté, « le monde a changé. Cette organisation était forte durant les années 1960 jusqu'à la fin des années 1980, mais elle a perdu de son poids dès 1990 avec le multipartisme. Le terrorisme et la situation qu'a vécus le pays, l'a remise sur la scène, mais dès la fin des années 1990, la situation a vite changé. La volonté manifeste des partis politiques et des associations à reprendre les rênes de la gestion de leur cité a été très mal acceptée par les notables et les autorités locales. Les deux utilisent tous les moyens pour casser toute émergence politique ou associative ». Cet état de fait a été confirmé par des élus de certains partis, comme le MSP et le FLN, qui reconnaissent que l'entrée en force d'autres partis que le FLN, en l'occurrence le FFS, le RND, le MSP et El Islah dans cette wilaya est en quelque sorte une révolution par rapport à sa composante socioculturelle. Tout le monde reconnaît que Ghardaïa de 2006 n'est plus celle des années 1980 ou 1990. « Beaucoup de femmes font des études universitaires, et il y a même, peu nombreuses certes, qui ont réussi à avoir leur logement pour y vivre seules. Le mariage précoce aussi bien chez les filles que chez les garçons - encore répandu - commence à reculer, tout comme le mariage consanguin ». Mais cette réalité est occultée par les notables de la ville et même beaucoup de Mozabites préfèrent garder cette image conservatrice de leur cité ancestrale.


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