Président de la fondation de l'équipe du FLN, Saïd Amara a bien voulu replonger dans ses souvenirs pour évoquer l'histoire de cette équipe mise sur pied un certain mois d'avril 1958, au moment où la France préparait le Mondial suédois. A cette époque, dix joueurs avaient mis leur carrière entre parenthèses afin de promouvoir la cause algérienne à travers le monde en rejoignant Tunis à l'appel de la Révolution. -L'Algérie célèbre cette année le cinquantième anniversaire de son indépendance. Que vous inspire cette date ? D'abord, je ne pensais pas du tout pouvoir atteindre le cinquantième anniversaire du pays. J'avoue même que j'étais un peu sceptique de voir le jour de l'indépendance. Dieu merci, notre pays est aujourd'hui libre grâce aux sacrifices de millions de personnes. Pour revenir au domaine sportif, je dirais que nous avons eu la chance de trouver des joueurs comme Seridi, Hadefi, Lalmas et Kalem juste après l'indépendance. Ils sont devenus des titulaires devant les anciens joueurs du FLN, grâce notamment à leur grande volonté. La fin de cette décennie a vu l'émergence d'une jeunesse composée des Betrouni, Ighil, Fergani et bien d'autres avant que la génération des Assad, Belloumi ne prenne le relais avec sa participation à deux phases finales de la Coupe du monde (1982 et 1986), même si celle d'avant avait remporté les médailles d'or aux Jeux méditerranéens (1975) et des Jeux africains (1978). On a réussi, par la suite, à maintenir certains cadres des années 1980, comme Madjer avec lequel l'équipe avait remporté la Coupe d'Afrique des nations en 1990. Mais depuis, c'est la longue traversée du désert, malgré les grands moyens mis par l'Etat. Car aujourd'hui, même si l'idée du professionnalisme est bonne en elle-même, au vu des qualités des joueurs dont nous disposons nous ne pourrons pas réussir. -Vous avez fait partie de la glorieuse équipe du FLN. Pouvez-vous nous dire comment les joueurs qui évoluaient en Europe avaient rejoint les rangs de l'équipe ? Moi, j'étais à Béziers à cette époque. Et alors que tout le monde était focalisé sur le match amical que devait jouer la France face à la Suisse, Makhloufi et d'autres joueurs avaient quitté précipitamment leur équipe pour rejoindre la Tunisie. C'était en 1958, on avait battu Saint-Etienne. J'avais marqué un but et Mekhloufi en a, lui aussi, inscrit un. Et à un quart d'heure de la fin du match, il s'était blessé. Tout le monde avait cru qu'il devait se soigner. Mais le lendemain, les gendarmes sont venus frapper à ma porte pour voir si j'étais toujours là. C'est en descendant en ville, que j'avais constaté que tous journaux parlaient de la disparition de joueurs algériens. Je ne vous le cache pas, on s'est demandé pourquoi on n'avait pas fait appel à nous ou à quelqu'un comme Oudjani, qui était buteur à cette époque. Toutefois, on a respecté ce choix. Par la suite, le groupe a commencé à se compléter avec l'arrivée d'autres joueurs. -Parmi les joueurs qui avaient rejoint l'équipe du FLN, il y en avait certains qui étaient pressentis pour la Coupe du monde de 1958 comme Mekhloufi. Cela n'a pas dû être un choix facile pour eux… Avant de partir de France, on connaissait déjà Bentifour depuis la Coupe du monde 1954. Il y avait aussi des joueurs comme Abdelkader Firoud ou encore Saïd Brahimi, qui étaient nos modèles. Notre génération est venue par la suite, animée d'une grande volonté. A cette époque, même si des joueurs étaient titulaires à part entière, ils ont fait un choix : celui du pays. Cela a fonctionné, puisque l'onde de choc créée par le départ des joueurs s'est propagée jusqu'en Suède, où se déroulait la Coupe du monde de football. Les gens se demandaient pourquoi ces joueurs ne sont pas venus. C'est à partir de là que la cause algérienne a commencé à se faire connaître. -Faire connaître la cause algérienne était votre seule mission ? A l'époque, on nous avait interdit de rejoindre le maquis, on nous avait dit qu'on avait un rôle plus important à jouer sur le terrain pour faire connaître la cause algérienne. Les résultats à travers les matches livrés ont galvanisé nos combattants et donné une aura à la cause algérienne. Nous avons aussi eu le privilège de connaître Ferhat Abbas, qui été premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne. Je me rappelle encore de Hô Chi Minh. Lors d'un repas, organisé en notre honneur, alors qu'on venait de battre leur équipe nationale du Vietnam, il nous avait déclaré : «Nous venons de gagner notre guerre contre la France. Vous, vous nous avez battus. Donc, vous finirez par battre la France.» Quand vous entendez ce genre de propos, ça vous galvanise, même si vous êtes sceptiques. -Ceux qui ont vu l'équipe du FLN à l'œuvre disaient d'elle que si on lui avait permis de jouer une compétition, elle aurait pu faire mieux que de la figuration… C'est vrai, on avait une bonne équipe. Mais ce n'était pas propre au football. On avait des champions en cyclisme, mais aussi en boxe. Cela s'explique aussi par le fait que les sportifs de l'époque évoluaient dans des clubs et qu'ils avaient aussi de l'influence. Ceci sans oublier la grande volonté qui animait chaque joueur lorsque la presse faisait ses éloges ou parlait de ses exploits. -Après l'indépendance, beaucoup de joueurs algériens sont revenus en France. Comment avez-vous été accueillis ? Après l'indépendance de l'Algérie, mon club m'avait envoyé une lettre à mon adresse en France, dans laquelle, on affirmait que les joueurs de mon équipe ont été consultés pour un éventuel retour dans le club, parce que j'étais toujours lié par contrat. Cela n'est pas passé sans incident. Un jour, lors d'un match, j'avais eu un problème avec un pied-noir ; j'ai dû me défendre. Cela m'a contraint à payer une amende de 240 000 francs. Juste après, j'ai rencontré Jacques Chaban-Delmas, qui était le président de l'Assemblée nationale et maire de Bordeaux. Il m'avait dit : «Qu'est-ce qui se passe Saïd ? Tu es pourtant un joueur sage ! » Je lui avais répondu qu'on m'avait traité de «fellagha» et que j'ai dû réagir. Il m'a répondu que « moi aussi, j'étais fellagha comme toi dans les années 1939-40 ». Et d'ajouter que j'étais le bienvenu et que je ne devais pas trop prendre en compte ce que disent les gens. Par contre, il y a des joueurs algériens pour qui les choses ne se sont pas bien passées en raison du racisme.