Triste fut ce jour du 10 mars 1994 qui a endeuillé toute une ville et tout un pays. Triste fut ce jour, où on a tiré sur l'homme et le dramaturge, alors qu'il se dirigeait vers le Palais de la culture de la ville d'Oran pour une conférence sur l'art dramatique. Comment ne pas évoquer Alloula aujourd'hui bien que beaucoup de choses aient été dites et écrites à son sujet ? Comment ne pas évoquer une ville qui a perdu de son âme cette vibration éveillée pour l'art théâtral depuis la disparition du dramaturge ? En 1962, alors que l'on fêtait l'indépendance, Alloula réalise sa première mise en scène en tant qu'amateur avec la pièce Les captifs de plante. De 1963 à 1965, il interprète des rôles dans Les enfants de La Casbah, La vie est un songe de Galderon, Dom Juan de Molière, La Mégère apprivoisée de Shakespeare, etc. L'année 1972 a vu la naissance de Homk Salim, le premier monologue du théâtre algérien une œuvre théâtrale que Alloula a adapté du Journal d'un fou de Gogol. Alloula fut majestueux et époustouflant dans ce rôle du fou, « du sage-fou », une parodie politique qui fait à la fois rire et pleurer ! En juillet 1985, El Ajouad révèle le talent de Sirat Boumediène dans le rôle de Djelloul el Fhaïmi auquel fut décerné le prix de l'interprétation masculine au Festival international de Carthage. Comment peut-on oublier El Lithem, Ettefah et Arlequin, valet des maîtres de Goldoni ? Alors qu'aujourd'hui, notre théâtre ne fait ni rêver, ni rire, ni même pleurer. Comment ne pas évoquer ce « généreux » qui a donné son cœur et son humour aux enfants cancéreux et aux plus démunis ? Alors qu'aujourd'hui, on meurt de plus en plus de tristesse, d'indifférence et de misère. Les années de braise, de feu et de sang, Alloula a préféré les partager avec son peuple. Il a préféré les cieux noirs de deuil de l'Algérie à la froideur et à la mort lente de l'exil. Bien que triste et mutilé par « le sang qui arrive jusqu'aux genoux », l'homme a redoublé d'effort et de créativité artistique pour transmettre quelques lueurs d'espoir aux gens. Il mit en scène Arlequin valet des deux maîtres, une pièce théâtrale, toute en couleurs, où se mêlent le rire et l'humour, la dérision, l'aventure, l'amour et le délire, un moment inoubliable qui nous a fait oublier pour un instant nos malheurs ensanglantés et rêver d'un éventuel retour proche de la vie en Algérie. L'attentat... le deuil. Deux jours avant la fête de l'Aïd, Alloula tombe sous des balles criminelles, à quelques pas de chez lui. L'attentat... une nouvelle macabre qui a choqué et attristé les enfants du pays, les jeunes gens anonymes des quartiers populaires, les jeunes filles et même nos vieilles mères qui savaient que l'homme était un généreux. Comment ne pas évoquer le jour de ton enterrement ? Une ville qui a arrêté de respirer. Des hommes et des femmes pleuraient et hurlaient de douleur à la sortie du cercueil où tu reposais. Abdelkader, Alloula, après toi, le théâtre n'est plus ! Il n'est ni contestataire, ni politique, ni absurde, ni existentialiste. Une réalité qui est pour le moins palpable à Oran où l'art théâtral a chaviré vers un semblant de « folklore » chanté ou raconté... Une tragédie qui ne dit pas son nom. Beaucoup de jeunes comédiens et comédiennes se débattent, malheureusement, dans la marginalité. Ils n'ont pu retrouver ta main tendue ! L'art et la culture n'animent plus les œuvres et les esprits de la jeunesse algérienne. Ton théâtre ne rend plus visite à nos écoles, nos lycées et nos prisons. Le « théâtre » d'aujourd'hui ne rend plus compte de notre amère réalité... C'est la tragédie... l'aliénation. On est aux antipodes du théâtre auquel tu aspirais : « Pour notre peuple, avec une perspective fondamentale, son émancipation pleine et entière. Je veux lui apporter, avec mes modestes moyens de se ressourcer, de se revitaliser pour se libérer et aller de l'avant. » Mais sache enfin, Alloula, que tes pages théâtrales ne sont pas frappées du sceau de l'amnésie, que ta générosité restera éternelle et que même, six pieds sous terre tu vis et vivras encore et encore.