Compte tenu de la frontière commune que le Canada partage avec les Etats-Unis, le 11 septembre a marqué un point tournant de la politique canadienne en matière d'immigration, de protection des réfugiés et dans la gestion de la question sécuritaire. C'est ainsi que la plus grande frontière au monde non militarisée qui s'étend sur plus de 8800 kilomètres (avec 200 millions de personnes franchissant la frontière annuellement) et qui, jusqu'à tout récemment, représentait une source de fierté pour les deux pays, est devenue un véritable casse-tête de part et d'autre avec pour principale préoccupation la sécurité publique et la guerre au terrorisme. Face aux critiques acerbes de Washington qui pointait du doigt les politiques canadiennes, qualifiant les frontières de « passoire » pour les terroristes, Ottawa n'eut d'autre choix que celui d'agir vite pour donner des gages de bonne conduite à la première puissance mondiale qui est de surcroît son premier partenaire économique. Certes, l'idée d'un périmètre de sécurité nord-américain qui supposait un processus d'harmonisation des politiques dans des domaines tels que l'immigration et le droit d'asile, la surveillance des frontières et l'échange de renseignements, avancée par les Etats-Unis, se heurta à de la résistance à Ottawa. Cependant, selon nombre d'observateurs de la scène politique canadienne, plusieurs compromis ont été faits. En attestent les ententes relatives aux traitements des revendicateurs du statut de réfugié et des migrants qui ont été signées. Les enquêtes de sécurité pour les postulants à l'immigration se sont considérablement étoffées et lorsque les postulants viennent de pays arabes ou musulmans, les autorités canadiennes sont encore plus pointilleuses. Des compatriotes résidant au Canada nous ont rapporté plusieurs irrégularités dans le traitement des visas touristiques pour le Canada destinés à leur parenté en Algérie. D'autres encore attendent depuis deux ans ou plus l'arrivée du conjoint qu'ils parrainent. L'histoire accablante d'une famille pakistanaise demandant le refuge a fait la manchette des journaux au mois de juillet sans que cela puisse renverser la décision du ministère de l'Immigration de les refouler. « On voit là un glissement de la position canadienne et la mise en place de nouvelles dispositions qui traduisent un état d'esprit qui amalgame l'immigrant et le réfugié au terrorisme », nous fait remarquer un professeur d'université. Bien qu'Ottawa n'ait pas endossé les choix politiques et sécuritaires de Washington, le Parlement canadien adoptait à toute vapeur le projet de loi C-35 (loi modifiant la loi sur les missions étrangères et les organisations internationales) et le projet de loi C-36 (loi antiterroriste) et signait la Déclaration sur la frontière intelligente avec les Etats-Unis. « Il s'agit de trois documents qui ont des conséquences profondes sur les conditions d'immigration et sur le processus de traitement des demandes d'immigration et de statut de réfugié au Canada ; l'une des conséquences les plus visibles de ces projets de loi a été une augmentation marquée de la fréquence du profilage racial », considère le Conseil des canadiens, une importante organisation de surveillance civique basée à Ottawa qui comprend plus de 100 000 membres et plus de 70 sections locales réparties à travers le pays. Coopération étroite L'étroite collaboration mise en œuvre avec l'Administration Bush permet aux agents de la douane des Etats-Unis de travailler maintenant en sol canadien aux côtés des agents de la douane du Canada pour surveiller les nouveaux arrivants, une demande que les Etats-Unis formulaient depuis longtemps et à laquelle le Canada s'était opposé fermement jusqu'au 11 septembre. Si d'aucuns dénoncent ces nouvelles dispositions sécuritaires, le Conseil canadien des chefs d'entreprise (CCCE) s'en accommode bien. « Au pays, nos forces doivent être capables de protéger l'infrastructure économique du Canada et de réagir aux urgences. A l'étranger, nous devons améliorer l'intégration des forces du Canada et des Etats-Unis sur terre, en mer et dans les airs », peut-on lire dans une déclaration du CCCE. En d'autres mots, les économies du Canada et des Etats-Unis devraient s'intégrer davantage par l'entremise d'une plus grande coopération militaire et sur le plan de la sécurité. Il est vrai que le capital ne connaît pas de frontières... On ne l'a jamais aussi bien vu qu'au cours de l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis au printemps 2003, quand le président et PDG du CCCE, Thomas d'Aquino, est parti plaider à la Maison Blanche la cause du libre-échange pour assurer l'Administration Bush que, même si le gouvernement du Canada était contre la guerre en Irak, il pouvait compter sur le soutien du secteur des affaires canadien. Inutile de se demander dans ce contexte pourquoi et comment le Canada a remplacé l'Arabie Saoudite en tant que premier fournisseur de pétrole et de gaz des Etats-Unis. Comme Don Nickles, le sénateur de l'Oklahoma, l'a dit : « Nous cherchons des moyens d'améliorer notre sécurité nationale depuis le 11 septembre. Nous ne pouvons pas avoir de sécurité nationale sans sécurité de l'énergie. Les deux vont main dans la main. »