La migration est le déplacement de populations à travers une ou plusieurs frontières. Il s'agit d'un phénomène vieux comme le monde. Pour Stéphane Baele, l'évolution de l'Etat moderne s'est traduite par diverses politiques d'immigration, allant de l'inexistence de règles à l'émergence d'une vision utilitaire et économique du phénomène. En réaction aux mutations internationales, des politiques de plus en plus restrictives de l'immigration se sont mises en place. Pour l'auteur, l'Etat a peur de perdre une partie de son capital symbolique et son rôle comme producteur de lien social et par conséquent d'être réduit à une institution de régulation administrative pour des individus en perpétuels mouvements. Il en est ressorti des discriminations entre la population «autochtone», concernée par ledit lien social et les populations étrangères. L'Union européenne a fait exactement cette démarche : créer une identité européenne et exclure les non européens. Il ressort d'une lecture historique de la migration que les politiques gérant le phénomène dépendent de la lecture conjoncturelle qu'on fait du phénomène et reflètent clairement le principe de restriction-exclusion et non d'inclusion. Si, d'un point de vue moral, les académiciens rejettent les politiques relatives à la gestion de la migration, les économistes se contredisent. Les criminologues réfutent la corrélation entre taux d'immigration et taux de criminalité et les sociologues dénoncent la désignation de l'étranger comme source potentielle de tensions. Le chantage libyen Les négociations entre l'UE et la Libye semblent suggérer que les Européens sont prêts à aller très loin dans la volonté de faire des Etats du Sud les gendarmes luttant contre l'immigration clandestine. En effet, pour signer un accord d'association comprenant le volet immigration, la Libye exige la fermeture pure et simple du bureau du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), en plus de moyens financiers supplémentaires et du matériel de surveillance des frontières terrestres et maritimes qui viendront s'ajouter aux nombreux dispositifs de contrôle déjà financés par l'UE dans ce pays depuis le début des années 2000. La politique européenne sur l'immigration inclut également l'ouverture sur le sol libyen de «points d'accueil», qui permettraient aux réfugiés de déposer leur demande d'asile sans prendre le risque d'une traversée de la Méditerranée. Le commissaire en charge des questions d'asile et d'immigration, Jacques Barrot, s'était rendu sur place pour étudier la possibilité d'un tel dispositif. Pour mieux comprendre l'importance de ce marchandage, il faut savoir que le HCR cautionne le rôle de la Libye dans la politique européenne de gestion de l'immigration et d'externalisation des frontières. En fait, la présence du HCR à Tripoli, laisse croire que «les boat-people refoulés en Libye, en vertu d'accords signés avec l'Italie et l'UE, y trouvent un minimum de sécurité et de protection». Or, la Libye n'a pas signé la Convention de Genève sur les réfugiés qui interdit de repousser des réfugiés potentiels vers un pays où leur vie risque d'être mise en danger et les rapports des ONG font état de maltraitance, d'enfermements et de déportations de milliers de migrants chaque année. D'après les témoignages recueillis par Human Rights Watch, les migrants refoulés vers la Libye sont généralement jetés en prison. Quand ils ne sont pas expulsés vers leur pays d'origine, avec les risques de persécution et de représailles. Quant au projet relatif aux «points d'accueil», le haut commissaire pour les réfugiés avait émis de sérieuses réserves, au vu des «conditions d'accueil effrayantes» en Libye. D'ailleurs, Migreurop dénonce «l'attitude hypocrite» de l'Union européenne et du HCR, prétendant vouloir assurer une protection aux demandeurs d'asile. Pour l'ONG, les vrais enjeux sont ailleurs : faire du colonel Kadhafi le gendarme des frontières de l'Europe et le geôlier des migrants à la recherche d'une protection internationale ou d'une vie meilleure. La Libye est aujourd'hui le principal pays de transit pour les dizaines de milliers d'Africains se dirigeant vers l'Europe. Selon les estimations des autorités locales, un à deux millions d'étrangers séjourneraient actuellement sur le sol libyen. En 2008, la plupart des 37 000 migrants débarqués au sud de l'Italie étaient partis des plages libyennes. Pour mettre fin à ce phénomène, assimilé à une «invasion» par ses alliés de la Ligue du Nord, Silvio Berlusconi a conclu avec Mouammar Kadhafi un traité d'amitié dont l'un des volets organise la contention des flux migratoires. L'entrée en vigueur de ce traité au printemps dernier s'est traduite par le refoulement vers la Libye de quelque 850 migrants. Fin 2009, le nombre de clandestins débarqués en Sicile ou à Lampedusa a chuté de près de 90%. L'immigration consensuelle : sécurisation/externalisation L'entrée en vigueur de l'espace Schengen et la suppression des frontières au sein de l'Europe, a imposé la nécessité de renforcer les frontières extérieures et donc d'harmoniser le contrôle auxdites frontières extérieures, tant au niveau des biens que des personnes. Ce qui explique pourquoi les premières coopérations furent policières et douanières et rien n'a changé depuis, bien au contraire. Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1999, la compétence communautaire dans les domaines de l'immigration et de l'asile est établie. Mais la voie vers l'harmonisation reste encore longue et les différends sont nombreux. L'Union se borne souvent à rappeler son objectif d'assurer la sécurité de sa frontière extérieure. C'est la raison pour laquelle la politique relative à l'immigration se place dans le cadre de l'espace liberté, sécurité et justice institué par le traité d'Amsterdam (titre IV). Elle est mise en place en particulier par le commissaire européen pour la justice, la liberté et la sécurité. Si l'immigration, le crime organisé et le terrorisme relevaient de différents groupes de travaux au sein du troisième pilier (justice et affaires intérieures), ces distinctions ont progressivement été effacées, la politique d'immigration de l'UE étant considérée comme partie de la politique de défense et de sécurité. Stéphane Baele rappelle, par ailleurs, que les premières collaborations en matière de migration ont été réalisées dans le cadre de la coopération policière, ce qui a encouragé une lecture sécuritaire de l'immigration. Une statistique, mise en évidence par Jérôme Valluy, illustre ce durcissement : de 1948 à 2008, la France passe d'une acceptation de 85% des demandeurs d'asile à un refus de 85%. Pour protéger la sécurité de ses frontières extérieures, l'UE institue en 2004 l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union, plus communément appelée Frontex. Le but est clair : gérer de manière intégrée les frontières extérieures des États membres de l'Union européenne. Une «patrouille» européenne contre l'immigration clandestine est créée par l'UE, en 2006, avec un budget de 3,2 millions d'euros. Des accords entre l'UE et la Mauritanie et le Cap-Vert autorisent les patrouilles de Frontex sur les côtes de ces pays. Le consensus est aussi sur l'externalisation qui consiste à instituer des centres, appelés diversement centre d'internement ou d'accueil, dans des pays non européens, chargés d'étudier les demandes d'asile et d'immigration. L'idée est explicitée dans un projet du gouvernement autrichien en 1999 puis est théorisée en 2002 par le haut-commissaire aux Réfugiés de l'ONU, Ruud Lübbers, ancien Premier ministre des Pays-Bas et, en 2003, par le Premier Ministre britannique Tony Blair. Cela montre bien l'influence des forces d'extrême droite dans l'externalisation de la politique d'immigration. Depuis 2001, une ligne budgétaire a été créée pour soutenir des actions dans les pays tiers, destinées à influencer les flux migratoires (gestion des migrations et des régimes d'asile, retours volontaires dans les pays d'origine, capacité des pays d'origine à faire face à leurs obligations de réadmission envers l'Union européenne...) Les dix Etats de la Méditerranée occidentale tentent clairement de renforcer leur «coopération opérationnelle» pour couper les routes migratoires de l'Afrique sub-saharienne. Concrètement, une série de centres ont été ouverte, en Mauritanie (à Nouadhibou, avec des fonds espagnols), au Maroc (avec la promulgation de la loi n°02-03 sur l'entrée et le séjour des étrangers au Maroc du 26 juin 2003) ou en Algérie (le camp d'Adrar ou celui qui est près de Tamanrasset). L'immigration utilitaire Depuis le 1er avril 2005, les questions relatives au contrôle des frontières extérieures, à l'asile et à l'immigration illégale sont tranchées à la majorité qualifiée, l'unanimité restant de mise pour l'immigration légale. Un changement qui pourrait permettre de donner une nouvelle impulsion à la politique européenne. L'UE a l'ambition de se doter d'un système européen commun d'asile d'ici è 2012. L'objectif est de mettre un terme aux disparités criantes existant au sein de l'UE. Fin 2008, un demandeur d'asile irakien avait 222 fois plus de chances de voir sa demande aboutir en Allemagne qu'en Grèce. Adopté en octobre 2008, le Pacte européen sur l'immigration et l'asile prévoit l'harmonisation des politiques d'asile et d'immigration au sein de l'Union européenne et une procédure d'asile unique pour les Etats membres en 2010. Le Pacte a opté pour l'«immigration choisie» et le système de la carte bleue pour faciliter l'arrivée et l'établissement de travailleurs hautement qualifiés. Le Pacte comprend également le renforcement de la coopération entre Etats membres, avec l'organisation de vols de rapatriement conjoints, l'amélioration des accords de réadmission et l'intensification de la lutte contre le trafic d'êtres humains. Dans cette perspective, le dispositif Frontex de contrôle aux frontières a été doté d'un double commandement pour les zones sud et nord de l'Union européenne. L'immigration choisie n'est pas un choix, c'est une nécessité. Selon les Nations unies, en l'absence de migrations, l'Union européenne verrait sa population diminuer de 43 millions, soit 11%, dans les cinquante ans à venir. Pour éviter cette catastrophe démographique et économique, le Vieux Continent a besoin de 47 millions d'immigrants, soit presque un million par an, ce qui correspond pratiquement à la situation actuelle. Cet impératif est si vital que le traité de Lisbonne permet aux États de conserver leurs prérogatives sur l'immigration économique. Comme le rappelle Jonathan Van Meerbeeck, l'Europe a besoin de ces migrants et elle le sait. Selon un rapport de la Commission européenne, d'ici 50 ans, il ne restera pour chaque senior que deux personnes en âge de travailler, contre quatre aujourd'hui. Les dépenses en matière de pensions, soins de santé et soins de longue durée augmenteront en moyenne de 4,67% du PIB. Or, la diminution du nombre d'actifs entraînera une baisse du taux de croissance moyen du PIB des pays de l'UE. Et pour lui, la politique de migration de l'Union européenne obéit à quatre considérations : l'ouverture des frontières intérieures, la volonté des Etats de protéger leurs compétences souveraines, le besoin de renforcer l'économie européenne et l'impopularité des politiques de migration. Ces quatre facteurs expliquent la vision fondée sur l'aspect sécuritaire et utilitaire de la politique de migration de l'Europe. L. A. H. Source : Documentation française, http://europa.eu.int, Sénat