Le Nil paraissait aux yeux de Frikès et ses fidèles comme une île au milieu d'un océan de sable. Abou El-Ala El-Maârri dit : «Ils étaient très étonnés par les vaguelettes du fleuve, embrassant sans répit l'argileuse carapace des berges, comme si le Nil implorait l'infernal désert. Au loin, les plaines marécageuses du délta, les joncheraies et les terrains salifères argentés cédaient majestueusement pour faire place aux collines pelées ou aux cimes éclatantes.»Les tribus peuplant ces contrées depuis des temps reculés vivaient, selon el Maârri, dans des conditions très modestes. Néanmoins, hommes et femmes goûtaient une paix profonde. D'après un Recueil des épitres d'Abou El-Ala El- Maârri, publié par la maison d'édition libanaise «Dar Sadir» (Beyrouth) en 1969, le philosophe arabe dit que «Frikès et certains de ses hommes se sont mariés avec des femmes autochtones». Donc, leur séjour en Egypte a duré au moins quelques années. C'est en Egypte que le roi Frikès et ses proches ont appris l'existence de pays, au Nord-Est, qui ressemblaient fortement à leur patrie perdue.En effet, étonnés par les marchandistes et les denrées transportées par certaines caravanes venues du «Nord» ou du «Nord-Est», le roi Frikès et les siens questionnèrent les marchands et les voyageurs qui accompagnaient ces caravanes : ils voulaient savoir d'où venaient ces blés, ces orges, ces fèves, ou encore ces laines qui ressemblaient énormément à ceux qu'ils cultivaient et vendaient dans leur terre d'origine. Ils apprirent, ahuris, que ces «caravanes» venaient du «Cham», un grand pays situé au nord-est du Sahara égyptien. «Juste quinze ou vingt jours de marche, en longeant les côtes de la mer». Selon les caravaniers, «le Cham est un pays au climat doux». En été, «son soleil» est clément, ses vents d'automne ne charrient ni sables ni poussières asphyxiants. Si ses hivers sont parfois rudes à cause des neiges lourdes, les pluies drues et serrées font toujours balayer ces neiges et «préparent» les terres agricoles au meilleur rendement. Enfin, le printemps du «Cham» est exubérant, gras et verdoyant. Pendant cette saison, le climat doux fait rêver hommes et femmes. Le roi Frikès et les siens interrogèrent beaucoup de caravaniers et de voyageurs. La majorité d'entre eux a confirmé ce que les Berbères pensaient. Ces «terres du Cham» ressemblent bien à leur pays d'origine. En effet, selon des témoignages croisés, le climat, les produits de la terre, les bêtes et même les forêts et le relief sont, à part quelques exceptions, presque semblables dans les deux pays. Le roi Frikès s'isola dans sa tente, nuit et jour, pendant une période qui parut infinie pour certains de ses hommes. Cependant, ceux qui le connaissaient savaient qu'il méditait. Durant les moments difficiles, le roi Frikès s'est toujours «isolé» pour prendre les décisions graves, voire les engagements irréversibles. Connaissant sa sagesse légendaire, son dévouement entier à sa communauté, «ses proches lui laissèrent tout le temps de méditer». Un beau matin, il réunit ses hommes et leur dévoila sa décision : «Préparez-vous, demain au lever du jour nous partirons au Cham.» Selon Abou El-Ala El-Maârri, le roi Frikès et les siens se sont fait guider par des caravaniers qui connaissaient bien «la route du Cham». Il ne cite aucun danger qui aurait pu entraver leur voyage. Il dit seulement que «leur voyage a été long», et qu'ils ont «longé la mer pour atteindre le Cham». L'arrivée dans ce dernier pays a été, pour Frikès et les siens, un vrai bain de jouvence ! Et comment ! Toutes les descriptions qu'ont faites les caravaniers sur le climat, les terres, la végétation, les montagnes et les bêtes du Cham se sont avérées, à quelques exceptions près, justes. Le roi Frikès pleura de joie. C'est une chose immensément agréable que de sentir les odeurs d'une terre qui ressemble à la vôtre. A suivre Le Cham englobait à cette époque la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie.