Abou El Ala El Maârri (973-1057) était poète et philosophe. Natif de Maâret Enouaâman, petit village situé à l'époque dans la circonscription d'Alep. Iil a fait ses études dans cette dernière ville, puis dans Antakya (dépendante de l'actuelle Turquie) et Tripoli (au nord du Liban). En son époque. Baghdad, «l'abbasside», était la capitale des lettres et des sciences, mais Abou El Ala El Maârri, qui y séjourna deux ans pour «approfondir ses connaissances philosophiques», selon ses propres confessions, la quitta, déçu après deux ans. Dans l'une de ses célèbres lettres, il a accusé les intellectuels baghdadis «d'égoïsme et d'étroitesse d'esprit». Revenu dans son pays, il vivra en ascète à Maâret Enouaâman jusqu'à sa mort en 1057 (grégorien). Philosophe de la mort et poète de l'absurde et du pessimisme, Abou El Ala El Maârri nous a légué beaucoup d'écrits. Comme tous les grands érudits de son époque, il a explicité parfois sa pensée ou sa vision du monde dans les chroniques. Au temps d'El Maârri, on appelait ces dernières des «lettres» ou des «épitres». En 1883, les chercheurs d'Oxford University ont traduit dix «lettres d'Abou El Ala El Maârri et les ont publiées dans une édition bilingue (anglais-arabe). Dans l'une de ses lettres, Abou El Ala El Maârri parle d'une extraordinaire aventure dont les Berbères ont été les héros malheureux (dixit El Maârri). Les chercheurs arabes et anglais ont donné comme titre à cette lettre «les malheurs de l'humanité». Pour consoler l'affliction d'un ami qui ne cessait de pleurer depuis des mois la mort de son fils unique, Abou El Ala El Maârri lui raconta «les malheurs de l'humanité». C'est une thérapie connue depuis l'antiquité. Pour alléger la détresse d'un homme frappé par un grand malheur, il faut lui «raconter des situations malheureuses plus graves que la sienne». En cinquante pages (10x18), El Maârri raconte à son ami, abattu par la tristresse, les plus grands malheurs qui ont frappé, non pas un seul homme, mais des peuples entiers. Selon Abou El Ala El Maârri, il y a des milliers d'années, Frikès était le roi incontesté de l'Afrique du Nord. Son royaume était vaste et prospère et son peuple vivait en paix. Malheureusement, les grandes richesses agricoles et minières du royaume de Frikès attisèrent les convoitises d'autres rois rapaces et infâmes. Un jour, des milliers de soldats (El Maârri ne précise pas leur nationalité ou origine), armés jusqu'aux dents, attaquèrent le royaume de Frikès. Ce dernier arma son peuple et défendit courageusement son pays. Malheureusement, les envahisseurs étaient beaucoup plus nombreux que l'armée du roi Frikès. Et comble de malheur, leurs armes étaient plus puissantes et plus sophistiquées que celles des Berbères. Après des batailles effroyables, les puissants envahisseurs battirent l'armée de Frikès. Vaincus et affamés, Frikès et les quelques soldats qui lui restaient se retirèrent dans le désert de la Libye. (A suivre) Abou El Ala El Maârri aurait écrit, selon les spécialistes, plus de vingt «lettres ou épitres», sans compter son chef-d'œuvre Rissalat El Ghofrane (Epitre du pardon) traduit au français par Vinvent Monteuil. Editions Gallimard, Paris 1984 – 320 p 16x24